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Crise financière et géopolitique : l’Europe engourdie


dimanche 10 octobre 2010









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A une époque comme la nôtre, où on vit manifestement un tournant majeur l’inscription dans le temps long est évidemment une priorité essentielle. Quelques remarques pour alimenter cette discussion.

Sur la hiérarchie des facteurs : les valeurs collectives au premier rang

En premier lieu et surtout le rôle des facteurs culturels, des valeurs fondamentales, et notamment spirituelles, est crucial ; il détermine l’orientation principale des gens, et notamment leur réaction aux crises. Le même évènement comme la crise de 1929 a donné des résultats très différents en Allemagne et aux Etats-Unis. C’est de ce fait l’enjeu essentiel de la vie collective : il partage ce rôle avec le fonctionnement de la sphère politique et le rôle des autorités, qui participent d’ailleurs en un sens de la même sphère. De ce point de vue, escompter la décadence ou la relativisation de l’Etat, supposé trop hiérarchique et dépassé, n’est pas réaliste : comme formule de rassemblement de la force collective d’une communauté humaine, on ne sait pas faire mieux – même si les formes peuvent changer à l’avenir. C’est à cette double lumière qu’il faut apprécier, et en fait relativiser, le rôle politique des crises économiques ou financières. Elles n’ont pas par elles-mêmes d’impact majeur, sauf à percoler au niveau social et politique (comme en Allemagne après 1929). Certes il faut absorber les pertes dues à la crise. Mais c’est possible sans drame politique majeur ; la plupart des crises du passé se sont résorbées sans impact énorme sur l’histoire générale. La situation politique et surtout l’esprit public jouent un rôle essentiel sur l’ampleur et l’orientation des effets. Mais ne croyons pas que les milieux financiers ou économiques produisent des stratégies de sortie de crise originales et innovatrices, et surtout pas en matière sociale ou politique, telles qu’elles jouent un rôle dans les scénarios de sorite de crie ou de façonnement de la société. Parmi les opérateurs économiques ou financiers, les uns disparaissent avec une crise, les autres repartent ; mais tous n’ont en vue que les profits réalisables sur leurs opérations et non l’action politique. Le sens politique des milieux économiques est généralement grandement surestimé.

L’engourdissement de l’Europe

Le fait que l’Europe soit désormais de façon croissante à la périphérie du débat principal est peu douteux. Et là encore c’est un problème de valeurs collectives. Militairement naine, politiquement peu féconde, sans grand débat ni convictions, ce continent s’englue progressivement dans un engourdissement dont témoignent la faiblesse du patriotisme, l’incroyance, une natalité consternante hors argent public, et une absence résolue d’ambition de civilisation autre que l’approfondissement du relativisme. Ce relativisme, qui constitue le stade ultime et radical de l’idéologie que nous héritons des Lumières, a un pouvoir dissolvant fort sur l’autorité politique et la faculté de vivre ensemble ; c’est donc un facteur majeur de faiblesse de la volonté commune, et notamment en démocratie. Mais si cela dissout les bases du régime démocratique, cela n’empêchera pas des formes étatiques de survivre un temps assez long, quitte à se parer des oripeaux démocratiques. Car même là on ne voit pas de forme politique alternative à l’Etat, ni un grand avenir aux milices et autres forces privées, sauf effondrement ultérieur à ce stade improbable. Cela donne d’autant plus d’intérêt à examiner l’enjeu géopolitique central de demain, la situation en Asie : quatre puissances de premier plan (USA, Chine, Inde, Russie) plus le Japon, à des degrés divers d’émergence, culturellement hétérogènes, sans traditions d’équilibre diplomatique entre elles, ambitieuses, militairement musclées, entretiennent un jeu complexe de relations appelées à structurer ce qui sera sans doute demain le centre de gravité du monde. Pas de doute, aucune n’a actuellement la puissance des Etats-Unis. Mais elles montent en force de façon rapide. Et leur capacité hégémonique est réelle. Certes la Chine impériale était inhibée par son conservatisme, mais la Chine nouvelle est hybridée et apte à évoluer vite. Pour son rôle futur, la limite est plutôt dans sa démographie (désastreuse et culturellement malsaine) voire dans le risque de division (menace traditionnelle). Mais ne négligeons pas non plus la Russie, nullement consolée de sa glissade relative, et l’Inde, dont la tradition de violence interne n’a d’égal que le talent scientifique, et qui peut se réveiller demain Etat nationaliste, hégémonique dans sa sphère. Mais la marginalisation relative et probable de l’Europe n’implique pas nécessairement pour elle descente dans le chaos. La crise de l’euro a révélé une nouvelle fois sa faille fondamentale : l’absence de légitimité politique au niveau européen, qui dans nos sociétés est démocratique et nationale et le restera à vue humaine. Tout cela ne facilite pas la mobilisation collective. L’euro notamment est de la responsabilité d’un organisme non élu, extérieur à chacun des pays concerné qui de ce fait ne s’endette pas dans sa monnaie (cas de l’Allemagne mis à part) ; c’est unique parmi les grands pays développés. Mais de telles crises financières, si elles minent la crédibilité des Etats concernés, ne conduisent pas à elles seules à une crise violente, comme l’ont montré les crises de la dette des 30 dernières années. Pour l’Europe, la configuration spontanée et plus probable est celle d’une dérive analogue à celle de l’Italie des XVIIe et XVIIIe siècles, plus ou moins sous domination externe, avec lent engourdissement mais peu de guerres, celles-ci étant réservées aux enjeux centraux - quitte aujourd’hui à pimenter cet assoupissement de crises terroristes ou d’émeutes ethniques, ponctuées par des épisodes sanglants à l’argentine. Cette Italie relativement paisible a duré deux siècles (pensons à la Venise pittoresque de Tiepolo, sans ambition, égarée en plein XVIIIe siècle) ; elle a été réveillée par la Révolution, c’est-à-dire des évènements tout à fait extérieurs. Il sera plus difficile à l’Europe d’attendre autant, car le reste du monde, secoué, hétérogène et rapidement mouvant, ne lui laissera pas de longs loisirs. Mais cela peut durer tout un temps.

En tout cas ceci exclut un retour en force de cette Europe sur la scène mondiale, sauf réforme intellectuelle et morale de grande ampleur. Son passé, dans lequel la compétition et la diversité ont effectivement joué un rôle essentiel, était surtout celui de pays porteurs d’une foi, et d’une foi unique en son genre. Cette foi explique entre autres son décollage et son rôle dans l’histoire. L’Europe d’aujourd’hui en est bien loin, du moins pour l’instant...

Texte revu sur la base d’un commentaire sur un texte de Bernard Wicht paru dans Catholica N° 109 Automne 2010
















































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