vendredi 8 février 2013
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Emission télévisée KTO « La foi prise au mot » sur le thème de l’avarice, en compagnie du père François Potez. Première diffusion le dimanche 17 février 2013 à 20h40. Rediffusions la semaine suivante.
L’avarice est un des sept péchés capitaux mais il est multiforme ; peut-être est-il plus parlant d’évoquer l’avidité. L’avarice (ou l’avidité) est sûrement un point central de morale à notre époque, l’un dont les conséquences collectives sont les plus larges. A propos de la crise de 2007, Benoît XVI soulignait lors d’une rencontre avec le clergé de Rome le 26 février 2009 le rôle de l’avidité, et que derrière l’avidité il y avait une idolâtrie : « il est aussi nécessaire de parler avec une grande conscience éthique, disons créée et éveillée par une conscience formée par l’Evangile. Il faut donc dénoncer ces erreurs fondamentales qui sont à présent apparues dans l’effondrement des grandes banques américaines, les erreurs de fond. En fin de compte, il s’agit de l’avarice humaine comme péché ou, comme le dit la Lettre aux Colossiens, de l’avarice comme idolâtrie. Nous devons dénoncer cette idolâtrie qui va contre le vrai Dieu et la falsification de l’image de Dieu avec un autre Dieu, ‘Mammon’. Nous devons le faire avec courage, mais aussi de manière concrète. »
Nous retrouvons ici ce qui est au cœur de toute la réflexion chrétienne sur l’économie, depuis les Evangiles et le grand débat médiéval, celui qui va de la préoccupation évangélique sur la puissance de Mammon à la question de l’usure : l’argent autoréférentiel, qui croit que par lui seul il produit quelque chose ; et inversement la réinsertion nécessaire de son usage dans le tissu multiple et varié des projets de développement humain, au sens le plus large du terme. Pour les chrétiens médiévaux, l’avarice était le plus grand des vices après l’orgueil. Bien avant les péchés de la chair !
De façon plus générale il faut réinscrire l’économie dans un champ moral, où elle était avant Adam Smith. L’erreur d’une certaine économie politique dominante est de faire l’impasse sur la nécessaire base morale de toute action économique. La neutralité apparente de cette économie politique dissimule en fait un libre cours donné à l’avidité. Le culte collectif de celle-ci ne doit donc pas étonner. Et comme je le développe par ailleurs, il est faux de croire que l’économie est concevable ou même viable sans sa base morale, qu’il s’agisse de la production, de la vie de l’entreprise, des marchés, ou de la consommation.
Avarice et avidité peuvent être comprises de plusieurs façons La plus évidente est l’appât du gain à un niveau personnel. Un exemple évident est le cas de qui sacrifie sa vie personnelle, spirituelle, familiale, au gain. Cela peut conduire à un effet d’addiction, proche d’une drogue. Une telle avidité se combine avec l’égoïsme, l’affirmation de soi. Mais elle est compatible aussi avec des prétextes moraux : si je gagne le plus possible, c’est pour assurer la sécurité de ma famille….Cela peut concerner aussi des questions de consommation. La boulimie est un cas évident, le mal fait à soi-même comme aux autres. Mais il faut voir aussi la dimension collective : le mauvais usage fait de ressources rares. Ou la vanité, comme dans l’abus des marques.
Mais du point de vue de la réalité économique, ce qui est important est de garder à l’esprit que toute dépense, tout investissement est un signal envoyé aux marchés - et qu’il dès lors important moralement. Même si on se sent petit par rapport aux structures économiques et financières collectives, et à juste titre (car même un milliardaire est en proportion petit) on ne doit pas oublier que le signal que nous envoyons, à travers chacun de nos choix, finit par donner au système ses traits dominants. Et il faut à ce sujet rappeler, dans l’enseignement social chrétien, le Bien commun est l’affaire de tous, notamment en regard de la notion de destination universelle des biens, qui vaut pour tout propriétaire, même petit.
La question se pose aussi au sein de l’entreprise, ou sur un marché. La maximisation du résultat ou du profit justifie-t-elle n’importe quel comportement ? Evidemment non. Pas même si on exclut ce qui est illégal ou inhumain, et pas même si on se conduit de façon sociale avec ses collaborateurs. C’est en particulier l’occasion de souligner l’importance dans toute activité économique de la vertu de justice, et donc de la notion de juste prix. Inversement il y a possibilité d’une structure de péché dans toute culture d’entreprise, tout fonctionnement de marché : une entreprise ou des marchés qui fonctionnent sur des principes faussés ou mauvais conduisent au péché ceux qui leur sont soumis.
Il en est de même pour les marchés financiers : les réformer et les réguler est vital. Mais si on ne change pas les priorités de ses participants, et en dernière analyse de nous tous, même si c’est à des degrés divers, on n’a pas fait la moitié du chemin.
Enfin tout cela n’entraîne évidemment pas non plus glorification de l’Etat. Car il n’est pas plus immunisé. Il y a à son niveau d’autres formes d’avidité, celles-là collectives. Ou encore l’avidité du pouvoir, qui est une drogue forte.
Un point à souligner surtout, en conclusion : l’antithèse de l’avidité et de l’avarice, c’est le don. De son temps et de son argent. A la fois nécessité pour chacun de nous, et dimension vitale de la vie collective. Il est donc essentiel de se poser régulièrement la question : qu’est-ce que je donne ou devrais donner ? A qui ? Et pour quoi ?
Pour approfondir cette esquisse, il faut bien sûr écouter l’émission ; en outre, on peut lire certains livres que j’ai publiés, notamment l’Evangile le Chrétien et l’Argent, ou L’économie et le christianisme.