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Le feuilleton du Brexit : quelques leçons politiques


vendredi 21 juin 2019









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L’invraisemblable feuilleton du Brexit a stupéfié l’Europe : comment ces Anglais peuvent-ils déraper à ce point ? Et on vous explique doctement pourquoi : c’est que sortir de l’Europe est déjà en soi une folie en soi ; pas étonnant alors que ceux qui s’y essayent se plantent.

Voire. Revenons aux faits : pourquoi le Brexit a dérapé ? D’abord, à cause de l’affaire irlandaise, que ni Bruxelles ni Londres n’avaient vu venir. Affaire compliquée en effet, mal traitée en l’espèce, par les Européens trop alignés sur Dublin, et évidemment par les Britanniques qui ne l’ont pas vu venir. Mais on oublie que sans l’Irlande il y aurait eu un accord sur tout le reste, qui aurait sans doute été accepté par le parlement britannique. Et même avec l’Irlande : si Theresa May n’avait pas fait la sottise de dissoudre les Communes il y a deux ans, l’accord passé avec l’Europe aurait été voté. Donc si on met à part ces données contingentes, le Brexit aurait pu parfaitement se faire. Moralité : pour un pays qui n’est pas dans la zone euro comme le Royaume-Uni, sortir de l’Union est techniquement tout à fait faisable. On peut dire que ce n’est pas souhaitable, mais pas que c’est impossible.

Mais le plus intéressant dans cette histoire n’est pas là : c’est le spectacle étonnant qu’a donné ensuite ce Parlement, le plus ancien du monde, composé de gens plutôt intelligents et pragmatiques, mais qui a tourné en rond comme une machine vide pendant des mois sans dégager une solution quelle qu’elle soit. On les a en effet vus voter successivement sur une série de propositions différentes, mais pour les rejeter toutes : la sortie sans accord, l’accord de Mme May, un autre accord, pas de sortie etc. Comment est-ce possible ?

Nous rencontrons ici un problème de fond sur la rationalité même de ce qu’est un vote, lorsque les gens ne sont pas d’accord sur un choix comportant plusieurs options. Pas de problème s’il n’y en a que deux ; la majorité l’emporte ; ce peut être idiot, mais ça marche. Mais s’il y a plus de deux options possibles, la science montre qu’il n’y a pas de solution rationnelle. Condorcet l’avait vu à la fin du XVIIIe siècle. Prenons pour simplifier trois personnes qui ont à choisir entre a, b et c. Si l’ordre des préférences est a b c pour l’une, b c a pour la seconde et c a b pour la troisième, il n’y a pas de réponse rationnelle. Si par exemple, comme aux Communes, on fait voter sur ‘a’, deux votent contre et un pour, et donc ‘a’ est rejeté ; de même pour les autres. Bien sûr, dans la réalité on évite en général le blocage, soit parce que les votants se regroupent en deux camps, soit parce que la procédure ou le hasard du déroulement permet arbitrairement de privilégier un des choix. Et bien sûr si on ne choisit pas, il y a toujours une sortie, imposée par les faits. En l’espèce, c’est ce qui pourra se passer fin octobre, si aucune autre solution n’émerge : il y aura Brexit puisqu’il est notifié, mais sans accord.

Mais la leçon est claire : le vote ne donne pas par lui-même de solution rationnelle, dès qu’il y a plus de deux possibilités divergentes en présence. Le pluralisme absolu ne marche pas. Dès lors soit on polarise les opinions en deux camps ; ça marche, mais au prix d’une grande simplification, éventuellement manipulatrice, et souvent de compromis qui trahissent les électeurs. C’est ce qu’on fait en général dans les démocraties. Soit on est vertueux, et on cherche ensemble la vérité et le bien commun, mais cela suppose un certain accord sur cette recherche. Mais dans une société relativiste comme la nôtre, très émotionnelle, cela ne marche normalement pas.

On comprend donc les attraits de la dialectique des deux camps : Emmanuel Macron et Marine Le Pen sont d’ailleurs d’accord là-dessus. Mais cela ne dure que si on arrive à canaliser sur la durée les lecteurs sur ces deux camps, ou à dégager en permanence des compromis. Pas étonnant dès lors que la base ne soit pas très satisfaite, et qu’elle remette en cause le système à l’occasion, ou reste sceptique. Sauf à se mettre d’accord sur un bien commun, la démocratie ne marche que quand elle est simpliste.
















































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