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Le nucléaire et le magistère


vendredi 3 janvier 2020









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Nucléaire et magistère : une rupture dans la doctrine ?

Les récents propos du pape François peuvent laisser penser qu’il y a une rupture doctrinale dans l’Eglise sur la dissuasion nucléaire, au moins une inflexion. Qui pourrait incidemment laisser entendre une autre rupture, sur la doctrine de la guerre juste. Soyons clairs : la difficulté avec le pape actuel est son goût pour les formules abruptes et à l’emporte-pièce, efficaces médiatiquement mais qui impliquent ensuite des pages abondantes de commentaires. La nouveauté du texte est la condamnation de la détention même des armes nucléaires : « l’utilisation de l’énergie atomique à des fins militaires est aujourd’hui plus que jamais un crime [...]. L’utilisation de l’énergie atomique à des fins militaires est immorale. Comme est immorale la possession d’armes atomiques. » En outre il ne fait aucune analyse de la situation actuelle qui justifierait l’idée qu’aujourd’hui au moins on pourrait se permettre de ne pas en avoir.

Si on possède une telle arme, on annonce implicitement qu’il y a au moins un cas, certes extrême, où on est prêt à l’utiliser ; elle a donc un objectif de dissuasion, qui suppose que la détention n’en soit pas platonique. Certains textes antérieurs de l’Eglise, de niveau variable, ou des déclarations avaient émis des doutes sur la légitimité de la dissuasion – d’autres l’approuvant dans le contexte de l’époque. Mais la position restait pour le moins ouverte (Jean-Paul II avait admis la dissuasion dans le cadre de la guerre froide). Il s’agit donc d’une appréciation prudentielle, dont la responsabilité principale incombe aux laïcs en charge. En outre, il y a dissuasion et dissuasion. Personne ne peut soutenir honnêtement que l’arme française ait quoi que ce soit d’agressif.

Si en revanche on dit que la possession même est interdite, on franchit un stade : on radicalise l’hostilité à la dissuasion dans tous les cas de figure, et on est conduit à démanteler immédiatement les systèmes. Si on suit littéralement la déclaration, si la détention même en était illicite, les gouvernants français de tout bord qui maintiennent la force de frappe et tous ceux qui y travaillent commettent un péché grave. Concrètement, les catholiques français devraient faire campagne pour abandonner notre force de frappe. La question posée est donc importante. Travailler pour apaiser les relations internationales et agir pour la paix est une chose, désarmer unilatéralement, surtout pour un pays paisible et ne menaçant personne, en est une autre. Personnellement si cela dépendait de moi, en l’état je ne prendrais jamais la décision de démanteler unilatéralement l’arsenal français existant.

Il apparaît dès lors soit que cette position est formulée de façon insuffisamment nuancée, soit qu’elle relève d’un penchant un peu rapide pour la posture dite prophétique. L’arme nucléaire est effectivement dangereuse, sa prolifération a fortiori. Mais elle a sans doute permis d’éviter que la guerre froide devienne une guerre chaude. Son seul emploi historique, effectivement horrible, touchait un pays qui ne la détenait pas et qui était hors d’état de menacer directement les Etats-Unis ; je ne suis donc pas convaincu que cet emploi ait été justifié. Cela dit, le même pays avait fait l’objet de bombardements classiques (notamment à Tokyo au printemps 1945) tout aussi horribles. Pourquoi alors ne pas condamner à nouveau (comme le faisaient les conventions de Genève) les bombardements de villes, en soi, quel que soit le moyen ? Car là est le problème : avec les armements modernes, on peut faire de terribles ravages sans avoir besoin du nucléaire.

Dit autrement, il y a accord sur l’idée qu’il faut à tout prix éviter les horreurs que rendent possibles ces armements modernes. Mais le moyen pour cela, c’est la recherche de la paix. Il n’est donc pas du tout évident que l’urgence soit au démantèlement des stocks nucléaires existants, surtout si c’est de la part de certains pays et pas des autres. Il n’est même pas sûr qu’un monde construit comme le nôtre, mais sans arme nucléaire, serait meilleur qu’avec. J’ajoute que comme pour la peine de mort, il me paraît risqué pour l’Eglise de changer ses positions sur un sujet de fond, sans le motif d’un changement majeur dans les faits. Or la fin de la guerre froide n’a pas débouché sur un monde sans confrontations planétaires. La montée en puissance de la Chine nous le confirme abondamment, sans parler des autres futures puissances. Un monde idéal serait une belle chose. Mais nous en sommes radicalement éloignés. Ce qui compte est d’œuvrer pour la paix, non pas en se concentrant sur un aspect ou un autre, une arme ou une autre, mais en gardant une juste vision des réalités d’ensemble, avec en vue un changement profond des cœurs. S’il est possible.

Publié dans Politique magazine N° 187 janvier 2020
















































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