Derniers commentaires


Accueil > POLITIQUE > Pertinence maintenue de l’opposition droite-gauche

Pertinence maintenue de l’opposition droite-gauche


samedi 12 mars 2022









Envoyer à un ami - Imprimer


Il y a une différence essentielle de position dans ce qu’on appelle traditionnellement la droite et la gauche. La gauche est ce qui a un moment donné incarne le mouvement d’évolution de la société démocratique, conformément à l’idéologie dominante. La droite est dans une large mesure définie en contraste, de façon négative - et par la gauche.

La gauche et l’émancipation

La gauche revendique une certaine moralité, même si ce n’est pas la morale au sens traditionnel, car c’est une morale de l’émancipation, qui se veut neutre sur le fond et exalte l’autodétermination. Son critère principal et permanent est la recherche d’une émancipation de l’homme, compris comme libération à l’égard de contraintes et de préjugés, dans une perspective constructiviste où l’homme se fait lui-même, car il n’y a pas véritablement de nature humaine et donc de vrai ou de bien objectif. S’y ajoute l’idée que cette émancipation une fois amorcée progresse dans le temps. L’idée principale est de permettre cette auto-construction cumulative, de façon progressiste.

Ce qui caractérise la gauche est donc dans une large mesure l’acceptation rapide et systématique des effets de ce que je définis dans Pour un grand retournement politique comme le paradigme dominant la pensée et l’action collective depuis trois siècles : « l’idée qu’il n’y a pas de vérité objective en matière morale, politique et sociale, d’où le droit de chacun à se déterminer comme il l’entend. Et qu’il est bon d’émanciper les individus ou les sociétés, ce qui est compris comme la remise en cause des valeurs collectives, des références au vrai et au bien jusque-là reconnues, et des autorités correspondantes […] jusqu’à culminer dans le relativisme actuel, qu’on appelle maintenant post-moderne, pour qui la seule notion du bien est le droit de chacun à définir comme il l’entend ses valeurs et références dans tous les domaines, sous réserve du droit équivalent du voisin. »

Mais naturellement le contenu de la gauche ainsi comprise varie selon les époques, et selon les clivages dominants du moment. Bien entendu selon les cas les priorités peuvent varier, ce qui explique qu’il y ait plusieurs gauches. On pourra par exemple être pour ou contre l’Europe selon qu’on la voit comme instrument d’émancipation ou comme menace. Mais aujourd’hui les clivages dominants définissant la gauche au sens actuel portent sur l’écologie, l’idéologie woke plus ou moins liée aux courants LGBT ou féministes, et les migrants. En revanche le clivage de classe ou de revenu a perdu de sa force pour elle. Les gens dits de gauche sont clairement et unanimement en faveur de chacun des trois termes précédents (écologie, wokes et migrants), mais ce qu’on appelait naguère la classe ouvrière a été largement délaissé. Ce qui fait que les ouvriers réels votent Le Pen.

Notons que tout cela n’est pas totalement surprenant. Car ce qui caractérise la gauche n’est pas par nature le souci des masses populaires, notamment ouvrières comme on pouvait le penser vers 1960, mais l’idée d’émancipation. Elle a pu se relier au socialisme mais elle peut le délaisser. D’ailleurs un regard historique nous rappelle que le positionnement à gauche du socialisme n’était pas une nécessité. Actuellement c’est le populisme de droite qui récupère le peuple. Ajoutons qu’il pourrait dans une certaine mesure en être de même de l’écologie, qui n’a a pas de raison en soi d’être accaparée par le parti de gauche du même nom.

Un témoignage provenant d’un auteur de gauche relativement traditionnel dans son positionnement, Thomas Piketty, peut nous le confirmer. Comme il le montre dans Capital et idéologie (2019), la gauche est passée graduellement de parti des travailleurs (ce qu’elle était en gros en 1946) à celui de parti des élites intellectuelles, en tout cas des diplômés. A l’époque l’électeur votant à droite était plus éduqué que celui votant à gauche ; c’est l’inverse désormais. Ce qui fait d’ailleurs qu’une partie de la gauche, celle qui donne l’inspiration, fait objectivement partie des privilégiés – grâce au système éducatif. Bien entendu cela ne résume pas à ses yeux le clivage droite gauche, car inversement dit-il il y a une corrélation entre niveau de patrimoine et vote à droite. Ainsi pour lui il y a aux Etats-Unis deux blocs élitaires, l’élite diplômée qui est plutôt démocrate, et l’élite du patrimoine plutôt républicaine. Selon Piketty toujours, les exemples de l’Inde et du Brésil montrent que le clivage classiste ne l’emporte que quand on a dépassé le clivage identitaire. Or note-t-il, il y a une montée du clivage identitaire et ethnoreligieux, et il est antérieur au problème des migrants. Cela résulte notamment de l’abandon des classes populaires par les sociaux-démocrates, ainsi que de la chute de URSS (qui a rendu la redistribution par l’Etat moins utile).

La droite hétérogène

En face, ce qu’on appelle droite comporte deux types assez différents de positions. En effet elle se relie soit à l’affirmation d’une conception différente (classique ou conservatrice), soit au fait que quelqu’un ou un groupe se met en décalage sur un point ou un autre avec la pensée dominante d’où il vient, mais sans sortir de sa logique. D’où l’exemple bien connu des anciennes gauches refoulées sur la droite (bonapartisme, orléanisme). L’orléanisme ancien se retrouve maintenant avec ses origines, en rejoignant le macronisme, ou pas loin (LR). Le bonapartisme est devenu populisme de droite. Mais à proprement parler la seule vraie droite, en cela qu’elle n’a jamais été de gauche, est la droite légitimiste ou conservatrice (au sens doctrinal du terme) – qui n’a pas actuellement d’expression politique propre significative. Allant contre le paradigme dominant, elle rencontre le plus d’obstacle dans le système ambiant. Mais inversement, étant une pensée du réel, du sens commun, en un sens c’est la pensée naturelle, la tendance spontanée. L’emprise du paradigme relativiste et progressiste renverse cette tendance, mais elle tend à resurgir en permanence.

Permanence de l’opposition à travers de nouveaux clivages

Il me paraît en tout cas clair que cette opposition droite-gauche, avec ses mutations historiques, reste un facteur majeur en politique, tant au niveau des idées qu’à celui de la vie politique. Pourtant certains veulent pourtant y substituer d’autres clivages dans la vie politique. Notamment entre peuple et élites, entre souverainistes et mondialistes, ou entre nomades et enracinés (ou plusieurs de ceux-ci à la fois). Notamment une thèse répandue voit cette opposition dans le clivage entre le macronisme et le populisme de droite (FN devenu RN). Qu’en est-il ?

Le macronisme est né dans une culture de gauche, au sens défini ci-dessus, mais dans une variante qui est allée au bout de la socialdémocratie dans son acceptation du capitalisme. Au minimum c’est une forme atténuée de la gauche (actuelle), un peu comme le parti radical sous la IIIe République, devenu un centre sous influence de gauche. Peut s’y ajouter un usage instrumental de quelques références de droite à l’occasion, mais de façon non essentielle. Cela dit, il peut être perçu comme de droite par ceux qui gardent l’impression rétinienne de la gauche comme ouvrière et anticapitaliste par essence (ce que le macronisme n’est évidemment pas), ou par ceux qui confondent ce parti de gouvernement avec le parti de l’ordre.

Quant au populisme, il se fonde sur un décalage entre peuple et élites. Il peut donc être des deux côtés, gauche ou droite. Mais dans le contexte actuel, et notamment au vu des choix de la gauche, il tend à être principalement situé à droite car il prend la forme d’un refus du mondialisme, des migrations et des idéologies progressistes que la gauche met en avant. Seuls les Insoumis y échappent en partie et présentent parfois un certain populisme de gauche, mais bien limité. Le populisme est donc pour l’essentiel désormais l’apanage de la droite, et il est identifié dans le système dominant comme situé à l’extrême-droite.

Comme on le voit donc, si le clivage entre peuple et élites, ou entre souverainistes et mondialistes, ou entre nomades et enracinés, existe dans une mesure importante, il ne remet pas en question l’opposition droite gauche.
















































pierredelauzun.com © Tous droits réservés
Besoin de réaliser votre site internet ? - Conception & réalisation du site : WIFIGENIE.NET