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Relativisme et détournements d’identités


lundi 10 août 2020









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On constate une tendance nouvelle et étrange de l’individualisme de nos jours, consistant non pas à refuser les identités collectives pour affirmer sa personnalité, mais à prétendre toujours relever de ces identités, à s’en réclamer même, tout en les comprenant ou redéfinissant de façon contradictoire avec ce qu’elles signifient. Prenons le champ religieux, et notamment les catholiques. Autrefois celui qui n’était pas d’accord avec ce qui est considéré un point central par l’Eglise en déduisait que si elle se trompait avec autorité sur un point essentiel, elle ne pouvait être ce qu’elle prétendait être, l’Eglise fondée par le Christ et, entre autres, gardienne de son enseignement. Dès lors, ils en sortaient, soit pour rejoindre un autre groupe religieux, soit pour cesser de pratiquer, soit pour affirmer leur propre voie. Or maintenant vous voyez des personnages nombreux et loquaces, très actifs sur les médias et réseaux sociaux, qui critiquent vertement ce que l’Eglise affirme, souvent depuis toujours et sur des points essentiels, mais ne s’en déclarent pas moins catholiques, continuent à fréquenter leur église, voire communient allégrement etc.

Le cas de bien des progressistes durs au sein du catholicisme est ici significatif : leur foi chrétienne peut être vive, mais leurs idées sont souvent objectivement en contradiction avec ce que l’Eglise enseigne comme point essentiel de la foi. Aux époques antérieures, prenant conscience de ce décalage, et en supposant qu’ils maintenaient leur point de vue, ils auraient trouvé évident de refuser l’expression de ‘catholique’ pour se décrire eux-mêmes. Là c’est le contraire : ils s’offusquent quand on leur fait remarquer la contradiction. Ils tiennent à être qualifiés de catholiques, mais en donnant à ce terme un autre sens. Le cas est bien plus rare avec les conservateurs – qui peuvent poser d’autres problèmes.

Cette attitude est très étrange. On est tenté de la rapprocher d’un phénomène apparemment différent, celui des transgenres. Voilà des gens qui sont biologiquement des hommes ou des femmes, qui savent que c’est un fait matériel qu’ils ne peuvent modifier, mais parce qu’ils se sentent en eux-mêmes du sexe opposé, non seulement ils veulent vivre selon les usages de ce sexe auquel ils s’identifient, mais veulent imposer à la société, et dans le droit, l’idée qu’ils sont effectivement et pleinement de ce sexe, y compris lorsqu’ils n’ont subi aucune transformation physique. Etrangement cet homme exige donc d’être considéré comme une femme ‘normale’ ; il revendique une normalité contredite par le sens des mots. Comme ils ont réussi à imposer ce point de vue légalement, il en résulte des situations aberrantes : des hommes supposés devenus femmes qui fécondent une femme supposée devenue homme, laquelle accouche ensuite. Ou des sportifs en fait homme qui gagnent des compétitions féminines. Ce qui est différent de la situation où un homme peut se sentir femme au fond de lui-même, mais sait et reconnaît que biologiquement il est un homme : il reste cohérent dans l’usage des mots.

Dans les deux cas, l’étrangeté est non pas dans le fait qu’on affirme être autre chose que ce que les autres pensent, mais qu’on prétende s’arroger une dénomination collective manifestement pas faite pour décrire ce qu’on pense être. La nouveauté est cette appropriation ou arraisonnement étrange d’un mot de la communauté qui ne désigne pas ce à quoi on veut l’utiliser. Cela peut s’expliquer parfois par des raisons tierces (profiter de l’appareil de l’Eglise par exemple, plutôt que de s’isoler ; ou récupérer une appellation jugée porteuse politiquement) mais cela ne peut pas rendre compte du phénomène comme tel.

Pour mieux comprendre l’enjeu, prenons un autre exemple : un médiocre joueur de piano qui revendiquerait d’être considéré un virtuose, alors qu’il ne l’est pas. Il peut éventuellement sincèrement sentir en lui un virtuose. Personnellement je chante faux mais je sens réellement en moi le chant tel qu’il devrait être – sauf que ce n’est pas ce qui sort. Mais objectivement si les mots gardent leur sens, les autres lui refuseront cette appellation. Virtuose est un mot qui perd son sens si quelqu’un peut le revendiquer sans en être un. Alors pourquoi pas ‘femme’ ou ‘catholique’ ?

N’est-ce pas en un sens le point extrême du relativisme ambiant : l’abandon de ce minimum qui nous reste en commun avec nos semblables : des mots qui ont au moins en gros le même sens ? Car si catholique peut désigner quelqu’un qui affirme les choses les plus variées en matière religieuse, ou femme un individu qui biologiquement ne l’est pas, ou virtuose n’importe quel individu qui touche un piano, ces mots deviennent tellement élastiques qu’ils perdent leur fonction, ce ne sont plus des outils de langage et par là de communication ; ils deviennent de pures étiquettes subjectives. D’où ce qu’un auteur avisé avait appelé ‘dissociété’ : le contraire d’une société, puisqu’on ne peut plus véritablement se parler, les mots n’ayant pas le même sens, ou étant vidés de sens. Tactique également utilisée dans un autre contexte par des pouvoirs totalitaires (voir Orwell). Inversement, on dit de Confucius qu’il aurait répondu à qui lui demandait ce qu’il ferait en premier s’il était empereur, qu’il corrigerait le sens des dénominations, c’est-à-dire redonnerait aux mots leur sens. Du fait des prétentions irrationnelles de ces groupes, nous n’avons potentiellement plus de langue commune. C’est bien un de nos problèmes.
















































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