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La séparation des banques - ou l’art des mauvaises pistes


mardi 22 janvier 2013









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(Publiée sur ce site le 9 janvier, légèrement modifiée le 22 janvier et enrichie le 12 février 2013)

Partout les idées fusent sur la séparation des banques. Le parlement français débat d’un projet gouvernemental, immédiatement critiqué de toute part. L’idée qui domine est que ce gouvernement est timoré et a cédé devant la pression des banques, alors qu’il faudrait aller beaucoup plus loin dans la découpe.

Le débat est légitime. Encore faut-il éviter les idées fausses et se concentrer sur ce qui importe vraiment. Ce qui apparaît alors est que les vraies réformes de la finance sont ailleurs. Notamment la réforme des marchés eux-mêmes.

Trop d’idées fausses ou partielles

Première idée fausse : les activités de dépôts et de crédit sont le seul vrai métier des banques ; elles relèvent seules de l’intérêt général.

Deuxième idée fausse : les activités de marché, qualifiées d’économie casino, sont (par nature) lucratives et risquées, et déconnectées de l’économie réelle ; elles sont exercées (par nature) sans risque ni contrôle.

Troisième idée fausse : tout cela justifie une garantie publique pour les premières mais pas pour les secondes.

Quatrième idée fausse : si les deux activités sont mélangées, la garantie de l’Etat joue comme une subvention implicite. Les banques sont alors incitées à prendre tous les risques pour générer des profits faciles sur les marchés. D’où un partage des pertes et une privatisation des profits.

Cinquième idée fausse : si les deux activités sont mélangées, l’activité de crédit crée de la monnaie que l’économie « casino » utilise ; et les risques de faillite de celle-ci sont amortis par le supposé ‘matelas’ des dépôts.

Conclusion, logique alors : il faut séparer les deux activités, en chassant les activités de marché comme Jésus chassait les démons.

Mais comme ce sont des idées fausses ou partielles, il faut hiérarchiser différemment les priorités. Le sujet de la séparation des activités est on le verra mineur et contestable. S’y concentrer aboutit à ne pas mettre l’accent sur les réformes nécessaires - et Dieu sait s’il y en a.

Les pistes à explorer : la réforme des marchés

En premier lieu, il faut reconnaître que les activités de marché sont indispensables au fonctionnement d’une économie. Notamment en économie ouverte. Evidente dans le contexte moderne et dans le cadre de la mondialisation, cette constatation est ancienne : la banque d’affaire est en un sens née avant la banque de dépôt. Certains croient que les marchés ne datent que de la période récente, alors que le crédit bancaire serait immémorial. Pas du tout. Les marchés sont au moins aussi anciens que le crédit. Les grands scolastiques médiévaux en parlaient longuement. Médicis et Fugger, la finance médiévale était en prise sur des marchés. En revanche les grandes institutions de crédit datent du XIXe siècle.

Un simple exemple de leur rôle indispensable : le moyen le plus sain et le plus durable de financer l’activité économique, plus que le crédit, c’est les fonds propres ; or on ne peut pas les financer sur les dépôts et le seul moyen d’en lever sur une échelle appréciable, c’est sur un marché. Le marché est le seul moyen de tenter une confrontation générale des ressources et emplois et d’offrir la possibilité d’une gestion active. Cela ne veut pas dire qu’il soit en permanence lucide ou efficient ni qu’il n’ait pas besoin de règles, bien au contraire : ils ont besoin d’être très sérieusement réformés. Mais c’est justement pour cela que la priorité absolue devrait être à cette réforme des marchés – comme je l’ai régulièrement soutenu par ailleurs.

Les marchés sont-ils inefficaces ? Non : ils ne le sont que par rapport à l’idéologie, absurde, des marchés efficients. Les marchés ne sont pas extralucides ; on connaît leurs emballements collectifs. Ce qu’ils font c’est assurer la confrontation générale des échanges et opinions à un moment donné. C’est bien mieux que les innombrables transactions fragmentées qu’on aurait sinon (et qu’on avait dans le monde ancien). En revanche il est vrai qu’il y a eu dérive depuis 30 ans : une idéologie a justifié une dérégulation et une innovation incontrôlées. C’est ce qui a conduit aux produits toxiques de 2007. D’autant plus irrationnels qu’ils n’étaient pas de vrais produits de marché, car ils n’avaient pas de marché secondaire actif et liquide.

Malheureusement on préfère les abandonner à l’image de casino qu’on leur colle. Et parce qu’on s’est trop concentré sur les seules banques depuis 2008, les réformes des marchés sont restées en-deçà de ce qui serait nécessaire. La seule réforme sérieuse a été la généralisation en cours de ce mécanisme qu’on appelle la compensation : c’est une voie que j’avais recommandée dès 2008. Mais elle ne suffit pas pour assainir véritablement les marchés et les rendre à nouveau suffisamment transparents et clairs pour que la confiance du public se rétablisse : dans leur intégrité, dans la qualité des mécanismes de formation des prix, dans la qualité de l’accès des investisseurs, et enfin dans le contrôle des risques systémique qu’il peut comporter. C’est d’autant plus important que par ailleurs le rôle des marchés ne va pas diminuer à l’avenir ; bien au contraire il devrait logiquement s’accroître puisque toutes les réformes faites depuis la crise (Bâle III notamment) contraindront fortement à l’avenir le rôle du crédit.

Pour cette même raison, et qu’on le veuille ou non il est dès lors vital pour un pays de disposer d’une activité de marché et donc d’une intermédiation de marché vivante et saine. La France notamment.

Il faut ajouter enfin ce point très important que l’assainissement des marchés comme de toute activité économique ne peut se faire uniquement à coup de réglementations. Cela suppose aussi une contribution des acteurs, des participants aux marchés, dans une optique de conversion personnelle si possible (n’hésitons pas à le dire), et pour le moins d’exigence morale – ce qui est difficilement récusable. C’est pour cela qu’à la Commission Ethique financière des Entrepreneurs et Dirigeants chrétiens (EDC), nous avons proposé des repères dans une brochure intitulée : « Qu’est-ce qu’un bon marché financier ? ». J’y renvoie le lecteur soucieux d’enrichir sa démarche sur ce point.

Marché, crédit et risques

En second lieu, l’expérience de l’histoire financière montre que le crédit est nettement plus dangereux que les marchés ; c’est même la principale source de crises, en un sens la seule. Je suis bien placé pour en parler, l’ayant vécu en direct. Les crises systémiques depuis 40 ans hors 2007 sont de pures crises du crédit, essentiellement immobilier et souverain : crise de la dette souveraine de 1981-82, crise des Savings et loans américaines de 1990, crises espagnole et irlandaise. Les vraies crises de marché (krach de 1987, bulle Internet en 2000) n’ont pas été systémiques, parce que financées en fonds propres, sans crédit. Même la crise de 1929, boursière à l’origine, n’aurait pas eu l’ampleur qu’elle a eue sans le rôle démesuré du crédit.

En revanche il est vrai qu’en 2007 ce qu’on appelait les marchés ont gravement dysfonctionné. Des formes perverses de titrisation ont disséminé partout ce qui était d’abord une crise du crédit, tout en la facilitant. Mais c’était de mauvais marchés, ni régulés ni transparents ni liquide, preuve qu’ils n’étaient pas bien régulés ou pas du tout, et qu’il aurait fallu les réguler strictement. Et même en 2008 la cause première de la crise c’était aussi des crédits immobiliers : les subprimes et plus généralement le financement d’une énorme bulle immobilière américaine.

C’est en effet de façon générale le crédit qui rend une crise systémique, par effet domino : la défaillance d’un emprunteur se transmet à son créancier. Ceci pour une raison simple : un crédit doit être remboursé ; si ce qu’il a financé s’avère ensuite être de valeur insuffisante, il y a une perte, qui met le prêteur en danger ; comme il a lui-même emprunté pour le financer (au moins s’il est une banque), cela crée un effet domino qui peut devenir ravageur s’il prend de l’ampleur : c’est ce qu’on appelle effet systémique. Quand on prêt mal, en masse, l’effet est catastrophique lorsque la situation se retourne. L’immobilier est souvent à l’origine de ces excès collectifs, comme on l’a vu aux Etats-Unis dans les années 1980-90, en Espagne ou en Irlande tout récemment. On n’a pas besoin de marché pour faire une bulle de crédit.

Plus généralement, c’est l’effet de levier qui fait la gravité de notre situation actuelle. Et l’effet de levier, c’est l’excès de crédit. La crise de la zone euro ressemble d’ailleurs en un sens furieusement aux crises de la dette souveraine du début des années 80.

En quoi le crédit est-il si dangereux ? C’est qu’il inspire confiance, plus que les marchés. Aux investisseurs, comme aux passionnés de la séparation ! Les plus grandes crises sont celles des souverains et de l’immobilier, parce qu’on se sent alors en confiance et qu’on fait du crédit sans précaution. C’est ce qu’il y a de plus dangereux. C’est pourquoi la séparation n’est pas en soi la bonne réponse (ou très partielle) car elle suppose que seules les banques de marchés causent des crises. D’ailleurs s’il y avait eu une séparation (quelle qu’elle soit) des banques en 2007 et surtout 2008 cela n’aurait rien changé.

La confusion la plus grave porte en définitive sur la question du risque : ce qui serait lié à un client serait à risque faible, en revanche ce qui est ‘spéculatif’ (en supposant que ce mot soit clair !) serait toujours très dangereux. Non : les deux peuvent être dangereux ou non, qu’on parle de crédit ou de marché. Ce qui compte est d’éviter que de tels risques soient pris de façon collectivement dangereuse ; ce qui suppose des règles collectives. La solution consiste plus précisément en trois points : contrôler banques et marchés ; améliorer les règles régissant le fonctionnement des marchés et celles encadrant la distribution du crédit ; et permettre la liquidation des banques. Et cela suppose bien sûr parallèlement une politique prudente de prise de risque des établissements.

Garantie publique et spécificité des banques

En troisième lieu, la notion d’une garantie publique à donner aux établissements bancaires ou financiers est choquante par nature. C’est un point de désaccord profond avec le discours dominant. Il est étrange de voir dire partout que l’Etat doit garantir les banques. Les banques sont autonomes et doivent être responsables de leurs actes ; ceux qui les financent aussi. Bien sûr la garantie des dépôts est justifiée. Mais pas celle des établissements, qui n’a rien à voir ! Il faut donc s’organiser pour permettre autant que possible la faillite ordonnée des établissements bancaires ou financiers, et la responsabilité de leurs dirigeants. Bien sûr il ne s’agit pas de laisser une banque faire faillite comme la crémerie du coin. Il faut que sa liquidation soit préparée et dirigée, qu’on évite la panique, et qu’on isole et cède les activités qui doivent survivre. Mais aussi qu’on solde les pertes en faisant payer ceux qui l’ont financée (hors déposants dans les réseaux), pas les contribuables. C’est ce qu’aurait dû faire l’Irlande au lieu de sauver les créanciers de ses banques. C’est le sens des dispositifs qu’on met en place en France et en Europe. Ce qui implique que les lois permettent cette résolution de façon ordonnée et rapide ; cela suppose aussi une certaine organisation des banques qui permette, quand le besoin arrive, de procéder rapidement à cette résolution, notamment par des filialisations préalables. Mais il ne faut surtout pas s’accommoder d’une garantie illimitée qui serait donnée au crédit, l’activité la plus dangereuse de toutes lorsqu’elle dérape.

En quatrième lieu, cessons de croire que les banques créent de la monnaie comme elles l’entendent, chaque fois qu’elles font un crédit. On peut bien sûr théoriser leur rôle de création de monnaie au niveau de l’économie – ceci dit, il est encadré par les banques centrales. Mais quiconque connaît une banque de près sait qu’à son niveau elle ne perçoit pas du tout qu’elle crée librement de la monnaie, et ce n’st pas dut tout comme cela qu’elle fonctionne. Ce qu’elle a pu octroyer de crédits voit en effet sa contrepartie en dépôts partir aussitôt de ses livres et il lui faut emprunter aux autres banques ou à la banque centrale pour la retrouver. Dès lors le souci de sa liquidité est son premier souci, et cette liquidité c’est sur le marché qu’elle la trouve. Là encore la bonne organisation des marchés est une dimension vitale de la vie collective.

Conclusion

Il se déduit de tout ceci que la séparation des activités de crédits et de marchés n’est pas une réforme centrale et prioritaire, en supposant qu’elle ait une utilité. Il est bien plus important d’organiser les marchés et le crédit, de contrôler les risques, et de liquider les établissements quand c’est nécessaire.

Il y aurait pourtant des arguments en faveur d’une forme de séparation, dans un monde idéal : il y a en effet une différence culturelle importante entre l’action sur les marchés, notamment sur les fonds propres, et la gestion d’un bilan de crédits et de dépôts. Dans un monde où les marchés seraient réformés dans le sens évoqué, où les opérateurs de marché seraient des intermédiaires animant ces marchés, sans position dominante (américaine) ni effet systémique résultant de bilans démesurés et insuffisamment liquides, la question pourrait avoir son sens. On en est encore loin. Et de toute façon la question ne peut être posée au seul niveau français : il est désavantageux et inefficace pour un pays comme la France, relativement marginal dans le système financier mondial, de trop expérimenter en la matière.

Sur notre sujet immédiat, en pratique, la réforme Moscovici est de fait proche de la règle Volcker américaine. C’est déjà beaucoup pour nous. Passons donc sur cette péripétie et revenons aux vrais problèmes. D’un point de vue public, à côté des responsabilités permanentes des superviseurs bancaires, les vraies priorités se situent au niveau mondial. C’est là qu’il faut pousser à la réforme. Bâle III étant de fait en bonne partie terminé, c’est désormais la réforme des marchés, celle des règles de distribution du crédit, et la résolution des crises bancaires. Travaillons-y.

Le point de vue chrétien

Beaucoup de ces questions sont techniques et n’appellent pas un regard spécifique des chrétiens. On comprend donc assez mal que la passion que certains y mettent. D’autant que leurs analyses techniques sous-jacentes sont contestables.

Mais deux au moins doivent interpeller le chrétien : la nécessaire responsabilité des acteurs ; les dangers de l’excès de confiance, confiance en nous ou confiance dans des mécanismes. Ces deux aspects sont moralement essentiels et mériteraient plus d’attention. Notamment face aux illusions du crédit. L’Eglise médiévale, à sa façon, l’avait compris.

D’après un débat sur les colonnes de ’La Croix’ auquel j’ai largement participé.

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1 Message

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    5 février 2013 23:24, par olivier Boidin
    merci pour cet éclairage à la fois nuancé et trés net ; il semble donc nécessaire que de nombreux acteurs de la finance trouvent sur leur chemin des éclaireurs qui ouvrent leur conscience pour qu’ils mettent leur agilité, leur intelligence mathématique et financière au service du bien commun et se méfient d’une avidité souvent tentatrice... courage donc, le travail n’est pas fini !













































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