samedi 16 avril 2022
Les élections en cours laissent bien des électeurs très insatisfaits. Ils le seraient plus encore s’ils prenaient pleinement conscience de l’impasse qui apparaît dans le fonctionnement même de la 5e république, que les élections législatives qui suivent mettront plus nettement en lumière. D’où le besoin d’une réflexion sur les institutions, même si le problème est bien plus profond.
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Il faut d’abord rappeler l’importance centrale du parlement dans la constitution. On ne le voit pas, car le rôle essentiel donné au président, encore renforcé par le quinquennat, a donné l’impression que seule l’élection présidentielle comptait. Mais l’exemple passé des trois cohabitations montre que si le parlement est dans un camp opposé au président, c’est lui, le parlement, qui l’emporte. Car on ne peut pas gouverner contre lui, mais lui peut pour l’essentiel (s’il y a une majorité).
On a cru que le quinquennat répondait au problème. Mais cela suppose que, comme en 2007, 2012 et 2017, les électeurs envoient au président élu la majorité qu’il souhaite. Cela pouvait paraître assez logique dans le système d’avant 2017, avec deux grands partis de gouvernement en alternance – même si ce n’était pas garanti. Cela a encore marché en 2017 au profit d’E. Macron, mais rien ne prouve que l’opération se répétera. Marcon n’a pas su créer de parti qui le soutienne, c’est le moins qu’on puisse dire.
En outre on constate même une évolution en sens inverse : les trois candidats arrivés en tête au premier tour ont en commun de ne pas disposer d’un parti étoffé, avec de nombreux élus, et par là de candidats potentiels implantés localement, ce qui est dans la logique de notre mode de scrutin. Il semble même que la recette du succès, au moins sur cette élection, soit de n’avoir qu’une plateforme présidentielle totalement personnalisée. Mais outre que cela donne à une majorité de Français une profond sentiment d’insatisfaction, c’est contradictoire avec l’élection qui suit, les législatives.
Quelles conséquences peut-on en escompter ? Si on prend les deux finalistes, la possibilité que Marine Le Pen, supposée élue, ait une majorité à l’Assemblée est pratiquement nulle ; en revanche il y a toute chance que se constitue alors une majorité qui lui soit hostile. Au mieux, cohabitation, au pire, blocage. Quant à Emmanuel Macron, il est relativement improbable qu’il dispose d’un majorité du type de celle de 2017. En revanche, comme on sait, il dispose d’une réserve potentielle du côté de ce qui restera de LR : soit parce qu’il ralliera une fraction éventuellement importante de ce parti dans une nouvelle majorité ; soit que LR se maintient mais entre dans un schéma de coalition. Cela peut donc marcher encore une fois. Mais la base de ce nouveau quinquennat resterait très fragile. En outre et surtout cela perpétuerait de façon encore aggravée la coupure du pays en trois blocs dont un seul peut parvenir au pouvoir. De plus la formule ne survivrait sans doute pas à Macron (non rééligible en 2027). Par ailleurs bien sûr, la manœuvre peut ne pas marcher et l’Assemblée de 2022 se révéler ingouvernable.
Quant à l’hypothèse d’un président gouvernant par référendum, outre qu’elle peut être bloquée juridiquement, elle ne serait viable au mieux que provisoirement comme coup de force permettant de renverser la table, mais on ne peut pas gouverner sur cette base.
Nous n’avons donc plus de système politique raisonnablement stable et permettant un débat et une alternance lisible et crédible. Il est donc logique de réfléchir aux modifications institutionnelles possibles – tout en étant conscient des limites d’un tel exercice.
Passer à la proportionnelle est-il une réponse ? Spontanément j’aurais été précédemment très hostile à cette formule. Même si c’est celle qu’on trouve dans la plupart des pays européens (en fait, tous à un degré ou un autre depuis le départ des Britanniques), car elle est contraire à la logique des institutions telles qu’elles fonctionnaient. Mais justement on n’est plus dans ce contexte.
En sens contraire, les élections de 2022 ont montré la tendance à la division du pays en trois blocs très différents. Si on suppose que cela se confirme et dure, une vraie proportionnelle donnerait un parlement ingouvernable. Cette solution, qui est celle de bien des pays européens, est donc risquée dans notre contexte ; il faut donc mitiger la proportionnelle. Par ailleurs la logique de la 5e république avec un président fort a montré des avantages réels, et personne ne propose de revenir dessus. En revanche le quinquennat a révélé ses limites : non seulement il ne résout rien, mais il fait disparaître l’intérêt du rôle du président, prévu par la constitution, qui est notamment d’avoir un certain recul. Recul qui peut être précieux dans un pays divisé, à condition que le président cesse d’intervenir dans la gestion quotidienne (ce qui serait d’ailleurs plus conforme à la constitution). .
D’où les propositions qui sont dans l’air du temps : restauration du septennat et injection d’une formule électorale avec proportionnelle mais de façon permettant l’émergence d’un majorité (prime au mieux placé, mixte avec le système à circonscription etc.). Cela semble plutôt rationnel. Mais naturellement comme on l’a dit ce n’est pas une panacée. Aucune solution institutionnelle ne l’est d’ailleurs. Mais on pourrait espérer sortir en partie au moins de cette impasse.