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Monothéisme et violence : le cas chrétien


mardi 10 février 2015









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On dit que le monothéisme a fait apparaître la violence dans le champ religieux, alors que le polythéisme serait tolérant et paisible. Comme si l’exclusivité de la foi et la croyance dans une vérité révélée impliqueraient automatiquement l’usage de la violence. Et de sortir une litanie bien au point : pour le christianisme, les croisades, l’inquisition et les guerres de religion ; pour l’islam l’ensemble de ses conquêtes, le statut des dhimmi et bien sûr l’islamisme. Certains mettent même sur le compte du monothéisme les effroyables massacres des ‘religions’ politiques depuis trois siècles, avec la Révolution française, le communisme etc. car il y aurait eu une forme d’imitation ou de transposition à partir de la religion.

Cette analyse superficielle ne résiste toutefois pas à l’examen. Il est notoire que les grandes sociétés polythéistes ont connu des formes aiguës de violence collective et de conquête brutale, les cas les plus caricaturaux étant ceux des Assyriens et Babyloniens, ou des Aztèques ; mais les exploits des Romains ou ceux des Ts’in, unificateurs de la Chine, sont eux aussi marqués par une grande violence. En d’autres termes la violence politique est universelle. En outre, d’une certaine façon tout exercice de la violence politique suppose un objectif, un dessein plus ou moins impérial, une affirmation d’autorité ou de pouvoir, auquel on subordonne la vie de tout ce qui y résiste. Donc une volonté d’affirmation essentiellement politique certes, mais qui prend aussi de ce fait une forme idéologique.

On dira que les monothéismes ont une spécificité : la violence au nom d’une idée, exclusive des autres, qui pousserait à l’élimination de ces rivales par la force. Mais déjà la cohérence logique de l’idée n’apparaît pas. On ne voit pas pourquoi le fait de croire à une vérité, y compris si on la croit révélée par un Dieu absolu, impliquerait automatiquement la propension à utiliser la violence pour l’imposer. En particulier, au niveau des textes cela ne se déduit en rien des Evangiles, ni du comportement radicalement différent du Christ (qui est pourtant Dieu fait homme pour les chrétiens).

Regardons alors les faits. La critique vaut pour l’Islam sans doute, au moins une certaine conception de l’Islam enracinée dans des textes essentiels de cette religion et qui a entraîné effectivement des conquêtes immenses et violentes. J’en parle par ailleurs, mais c’est à mon sens une spécificité de cette religion. Pour le judaïsme, cela n’apparaît que dans la conquête de l’ancienne Palestine ; mais ce n’est en aucune façon un prosélytisme : il ne s’agissait pas de conquérir les personnes à une idée universelle, mais de s’emparer d’un territoire limité dont on pensait qu’il avait été promis par Dieu : c’est donc assez éloigné du schéma mis en avant par nos critiques. Ce pourrait d’ailleurs être le fait d’un polythéisme dans lequel le dieu tribal cautionnerait de tel appétits de conquête au profit du peuple concerné.

Reste donc le christianisme. Son examen va faire apparaître des faits intéressants. Passons sur les Croisades, qui ne visaient pas à conquérir la planète mais un endroit bien précis, un lieu de pèlerinage chrétien tombé sous une domination musulmane peu accueillante. Les guerres de religion sont plus intéressantes car indéniablement le motif religieux y était mis en avant pour justifier des guerres cruelles, civiles ou étrangères. Le motif politique était toujours sous-jacent mais il est indéniable que le facteur religieux a sensiblement aggravé le rythme de ces guerres. Mais la raison en est simple : dans des sociétés où la religion a un rôle fondateur essentiel pour la vie collective, le changement possible de celle-ci au niveau des dirigeants a un impact collectif considérable. Ce qui peut en faire un enjeu de violence. Il en sera de même lorsque, après les supposées Lumières, des idéologies politiques voudront réorganiser la vie collective sur de nouvelles bases : la persécution va alors s’exercer contre les religions en place, notamment le catholicisme, avec des moments de violence extrême (révolutions française et mexicaine, république espagnole), ou larvée (Troisième république) ; sans parler évidemment du communisme, russe, chinois ou autre. En d’autres termes, on est là devant des enjeux vitaux ; leur remise en cause peut devenir vite objet de violence ; et les idéologies laïques montrent ici elles aussi une violence sans précédent. En d’autres termes la violence politique est un enjeu permanent, et les idéologies progressistes ou démocratiques se sont avérées, l’occasion venue, d’une violence jusque-là inouïe.

On va dire que du temps du polythéisme cela ne faisait pas. Chiche. Car à nouveau ici l’examen historique s’avère riche d’intérêt. Prenons le cas des chrétiens sous l’empire romain pendant les premiers siècles. Leur exclusivisme monothéiste se traduisait dans le seul fait de refuser de participer aux sacrifices aux idoles, alors culte public. Cela s’est traduit comme on sait par d’atroces persécutions, répétées, sous des formes variées mais constantes. Or ces chrétiens ne menaient aucune lutte d’aucune sorte contre le système politique romain ou la société du temps, en dehors de ce refus de participer aux cultes publics. On n’était donc pas dans la situation des guerres de religion : aucune menace directe ne s’exerçait sur le mode de vie ou les croyances de qui que ce soit. Pourtant la persécution s’est déclenchée, a durée très longtemps et sous des dirigeants assez différents les uns des autres. Et elle a été le fait de polythéistes, au nom de leurs cultes. Non certes par prosélytisme : ils toléraient des religions assez variées et ne demandaient pas d’adhésion aux leurs. Mais ils exigeaient le culte public de leurs idoles, et devenaient féroces quand on le leur refusait.

Ajoutons que cet exemple historique romain n’est pas unique : on retrouve le même schéma, toujours contre le christianisme d’ailleurs, dans de nombreux autres cas. Particulièrement spectaculaires ont été les persécutions des convertis au christianisme au Japon au XVIIe siècle ou en Corée au XIXe siècle. Dans ces cas aussi des systèmes religieusement assez composites sont devenus d’une violence extrême face à un christianisme se répandant alors très vite pour leur goût - mais sans aucune remise en cause de l’ordre social ni du pouvoir politique.

Que déduire de cette observation ? D’abord cette évidence que le polythéisme ou des systèmes analogues, non-monothéistes, peuvent être violemment persécuteurs, même de personnes qui ne présentaient aucun programme d’ordre politique ou social et restaient parfaitement paisibles.

On trouve ensuite sans doute un élément analogue à nos guerres de religion : le fait est qu’un changement de conception puisse être considéré enjeu politique majeur, même lorsque la nouveauté doctrinale ne porte pas sur un sujet politique. Ceci dit la situation évoquée ici est assez différente, car l’enjeu des guerres de religion était quand même une lutte pour le pouvoir politique, ce qui n’est pas le cas ici.

Il y a donc un troisième élément, et à la réflexion il est étonnant : c’est le fait que cette intolérance et cette violence de la réaction s’avèrent incomparablement plus marqués à l’égard du christianisme, alors même qu’il ne manifeste pas d’ambition politique et ne vise normalement à convertir que par la conviction (même s’il y a eu des dérapages sur ce point à d’autres époques, c’est en tout cas indéniable dans ces exemples précis). C’est d’ailleurs de fait, depuis son apparition et de loin, la religion la plus persécutée - quel que soit son comportement. C’est vrai aussi des Juifs bien sûr mais c’est alors sous une forme assez différente puisqu’ils ne cherchent pas à convertir ; dans une certaine mesure les musulmans aussi sont persécutés ici ou là - mais il y a là le fait historique de la conquête militaire, presque partout présent, et l’absence de distinction du religieux et du politique, ce qui rend plus compréhensible la résistance des autres.

Tout se passe donc comme si des régimes politiques et des populations non-monothéistes concevaient une hostilité tout à fait particulière face à l’affirmation par des personnes d’un monothéisme, essentiellement chrétien, par le simple fait qu’elles affichaient cette conviction, celle des premiers chrétiens et de leurs successeurs, qu’ils ne pouvaient pas participer à des cultes publics ou à d’autres pratiques sociales de signification semblable, simplement parce que leur religion l’excluait et que sa validité était universelle et supérieure aux lois civiles. On dira que ces polythéistes ont soupçonné une forme d’intolérance potentielle dans une telle attitude. Mais les premiers chrétiens n’empêchaient personne de pratiquer le culte des idoles, ni ne manifestaient la moindre ambition de mettre en place un empire chrétien. Qu’en conclure, sinon que, dès qu’un pouvoir ou une société considère des convictions ou au moins des rituels comme fondateurs de son ordre collectif, ce qui est d’une certaine façon le fait de tous les régimes, il regarde avec une profonde hostilité des gens même tout à fait inoffensifs, qui lui disent que leur foi les conduit à refuser de partager ces convictions ou ces rituels, même si tant par leurs déclarations que par leurs actes ils montrent qu’ils n’ont aucune intention hostile contre l’ordre social en question.

L’intolérance se révèle alors être au cœur de tout polythéisme, parce que c’est une religion civique. Et la république n’y échappe pas, avec sa propre ‘religion’ de la laïcité dure. Seul le christianisme, fondateur en cela de la saine laïcité (malgré des dérapages historiques bien réels) affirme clairement la distinction du royaume de Dieu et du royaume de César, dès ses textes fondamentaux ; dès les évangiles. On s’aperçoit alors que les fauteurs réels de violence ne sont pas principalement ceux qu’on croit.

Ces faits se retrouvent à notre époque. La démocratie libérale a en général usé de moyens relativement doux (pas toujours on l’a vu) ; mais elle a constamment lutté pour refouler le christianisme, notamment le catholicisme, en dehors de l’espace public. Car elle a beaucoup de mal à admettre que des citoyens lui disent que sur certains points la loi religieuse est plus importante que la loi civile, même lorsque cela ne remet pas en cause l’ordre social. On le voit aujourd’hui en matière de mariage ou de mœurs. On supporte très mal la dissidence intérieure que les chrétiens d’aujourd’hui ne peuvent qu’afficher sur ces points, au nom de leur foi, mais sans aucune intention de subversion sociale ou politique. Le cas français, avec sa tradition de laïcité agressive, est ici particulièrement significatif. Bien sûr une forme d’équilibre a été trouvée bon an mal an, imparfaite mais préférable à l’affrontement. Et on supporte cette dissidence chrétienne lorsqu’elle reste modeste. Mais on ne saurait considérer cela comme un acquis définitif. Le catholicisme a beau tout faire pour se faire tout petit, il reste suspect.


















































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