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Le tourisme stratégique des Occidentaux au Moyen-Orient


vendredi 30 août 2013









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Des amateurs dans un théâtre d’ombre

L’explosion du débat sur la Syrie après l’attaque chimique de Damas confirme l’impression consternante que donne le monde occidental depuis le début du Printemps arabe : des apprentis sorciers, ignorants de la logique et des règles du jeu local, improvisent des prises de positions et des interventions armées par projection de leurs fantasmes et stéréotypes occidentaux, sans comprendre l’extraordinaire complexité et illisibilité d’une zone où depuis 4000 ans tout le monde peut être tour à tour allié et ennemi de tout le monde, où tout le monde ment, parce que tout le monde mène un jeu de pouvoir précaire et sans merci.

Soyons clair : tout ce qui peut faire évoluer cette zone à la vie politique si heurtée et ingrate dans un sens plus civilisé est bien évidemment bon. Le problème est que la bonté d’une action n’a rien à voir avec les intentions qu’on affiche, et surtout pas si on agit du dehors, sans savoir, en fonction des effets médiatiques qu’on en attend à domicile, et avec la ferme intention de s’engager le moins possible sur place.

Il y a en effet trois règles minimales à respecter pour qu’une intervention extérieure soit fructueuse : qu’elle soit réfléchie et tienne soigneusement compte de la situation locale réelle et donc de ce qui est réellement possible (et en aucune manière de ce qu’il serait politiquement correct de viser) ; qu’on agisse sur la longue durée en étant constamment présent au mois diplomatiquement ; et qu’on n’intervienne sur place, notamment par des moyens militaires, que lorsqu’il est tout à fait clair qu’on obtiendra une amélioration nettement supérieure aux effets secondaires inévitables. En un sens on retrouve les critères classiques (notamment catholiques) de la guerre juste – étant entendu que l’exigence de prudence est ici encore plus forte.

Cela n’a par exemple pas de sens de s’engager contre une dictature que s’il est clair que ce qui suivra non seulement ne sera pas une autre dictature, mais assurera au pays concerné une paix civile de qualité supérieure à ce qu’assurait la dictature, et que le coût du passage de l’un à l’autre n’est pas ravageur. Il va de soi qu’à cette aune l’intervention en Iraq de 2003 était une énorme erreur : tout le monde en convient maintenant. Ce qui a été fait en Lybie n’est pas mieux : le pays n’a même plus d’unité. Croit-on on qu’on réussira dans cette Syrie, nœud gordien de la région, où le jeu est mille fois plus complexe ? Alors que le risque d’une république islamique au cœur du Proche orient, écrasant sauvagement ses minorités (voire sa majorité), et les chrétiens en priorité, est l’issue la plus probable de la victoire du clan qu’on encourage ?

Particulièrement désastreuse est ici cette maladie congénitale, notamment française, mais aussi quelque peu américaine, qui donne a priori un préjugé favorable à tout ce qui s’appelle révolution. Une révolution est un effort violent pour renverser un régime politique. Etant violent il est par nature générateur de guerre civile ; par soi-même il ne conduit donc pas à la construction d’une situation politique civilisée et respectueuse : le contraire est vrai et l’histoire le confirme. De plus il détruit une forme de cohabitation civile éventuellement mauvaise mais au moins relative, sans proposer à sa place une structure paisible puisqu’il est lui-même violence. Enfin il mange ses propres enfants ce qui rend impossible de prévoir l’issue du processus. Certes ce peut parfois être inévitable. Mais c’est au mieux de la roulette russe.

Et qu’on ne dise pas qu’une révolution paisible, par manifestations, ne présente pas cet inconvénient. Cela n’est vrai que si le problème est très simple et en un sens résolu à l’avance : un régime faible, prêt à ne pas se défendre, qui ne perd pas trop à abandonner le pouvoir, face à une population mûre, homogène dans son modèle politique, où personne ne se sent menacé. En dehors de ce cas rêvé (dont il n’est même pas sûr à terme qu’il se vérifie en Tunisie), les manifestations sont des demandes de prise de pouvoir par des moyens non prévus légalement. Donc au moins du point de vue du régime, de ses défenseurs, et des tiers, une démonstration de force.

Prenons du recul. Même la si pacifique Manif pour tous, dans nos bons pays occidentaux, s’est vu rappeler sans ménagement (en fait avec une certaine violence, disproportionnée en tout cas) par le régime les limites de l’exercice. Une manifestation doit être rituelle et inoffensive, sinon c’est une agression illégale contre l’ordre républicain, qui saura alors se défendre. Point à la ligne. Imaginons alors ce que cela peut être avec une dictature.

Et on s’escrime à aggraver la question avec cette manie puritaine de passer en jugement tous les dictateurs ou jugés tels. Bien sûr ils méritent la sentence ! Mais un dictateur ainsi menacé est acculé et n’a plus rien à perdre. Donc il va jusqu’au bout. Ainsi en Syrie : pour Assad et son clan, soit le gros de l’armée et de la population alaouite plus pas mal d’autres. Pour eux il n’y a plus aucune porte de sortie. Le message de l’Occident c’est : nous voulons votre peau, sans négociation possible. Acculée une bête devient féroce. Mais en l’espèce ce n’est pas un homme ou un clan, c’est une partie notable de la population syrienne qui est ainsi acculée.

Il n’y a qu’un moyen de faire la paix dans un pays déchiré, c’est que les principales parties représentatives acceptent une solution. Et quand ces parties sont en état de se battre cela suppose une négociation sans condition. Y compris donc avec Assad. Et pas pour faire des élections, ou plutôt ce n’est pas un but en soi mais un moyen. Le but c’est que tout le monde s’y retrouve et qu’on dépose les armes. A la libanaise si on ne peut pas faire mieux.

Les grandes âmes brandissent alors l’horreur de l’attaque chimique. L’horreur que cela suscite est justifiée. Ceci ci dit l’effet destructeur des armes chimiques n’est pas supérieur à celui des armes classiques. Un être humain déchiqueté par un obus a-t-il moins souffert ? Bien sûr avec le chimique on vise d’abord les civils (les militaires ont des masques) ; mais c’est notre triste réalité en général : les guerres modernes sont de plus en plus des guerres contre civils (c’est sans doute une des grandes conséquences malheureuses de la démocratie). A nouveau cela n’excuse pas la barbarie de cette attaque, ce qu’elle révèle d’abjection de la part de ceux qui y recourent. Mais politiquement il est faux de prétendre que cela instaure un seuil où tout devient intolérable. Pas après 100 000 morts. Pas pour autoriser de frapper au hasard sans avoir la même idée non seulement de ce qui suivra mais même de ce que l’on veut. Et pas après avoir assumé tranquillement de notre côté Dresde ou Hiroshima (pour ne citer que ceux-là).

D’autres, de l’espèce stratège, dénoncent l’horrible axe du mal chiite, du Hezbollah à Téhéran en passant par Assad. Que ces gens-là soient dangereux et hostiles, c’est là encore certain. Mais soyons lucides : l’essentiel du terrorisme islamique n’est pas chiite mais sunnite, et derrière on trouve presque toujours la trace au moins indirecte de l’Arabie saoudite, son argent ou celui de ses satellites, dont l’alliance à la vie à la mort avec les Etats-Unis est le principal facteur de dérapage du Moyen-Orient - et du monde musulman en général.

De deux choses l’une donc : où nous nous sentons la capacité intellectuelle, diplomatique et militaire de jouer le jeu complexe du Moyen-Orient comme autrefois les Britanniques. Malgré nos armées que nous liquidons sans honte chaque fois plus comme une peau de chagrin de moins en moins décente ; malgré notre système de débat médiatique grotesquement inadéquat pour comprendre ce qui se passe là-bas. Jouons alors ce jeu intelligent et subtil sur la durée, sans surtout s’engager durablement avec une des innombrables factions. Ou nous pensons ne pas pouvoir jouer ce jeu : ne faisons pas semblant alors, et ne cassons pas la porcelaine en passant, avec nos mœurs de touristes incultes.


















































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