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Matières premières, finance et développement durable


mardi 23 juillet 2013









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Tous les médias le disent. La hausse des prix des matières premières peut être dramatique. Les prix fluctuent alors de manière aberrante. Les émeutes de la faim, attisées par la spéculation, se développent. L’intervention musclée du politique se fait attendre. Que fait le G20 ?

Comme à l’accoutumée le vrai et le faux se mêlent, transformant un dossier extraordinairement complexe en un feuilleton facile - qui attend son Zorro.

Pourtant l’inquiétude est fondée, et la demande politique aussi. Encore faut-il voir de quoi on parle.

De vrais marchés pour les matières premières

Les matières premières, même renouvelables comme les produits agricoles, ne sont pas inépuisables. Notre époque a pris conscience d’un impératif vital : le développement durable. Les matières premières étant des ressources rares, à gérer au mieux, leur prix ne peut que monter sur la longue durée. Le pétrole vient le rappeler à intervalle régulier, mais il n’est pas le seul.

La hausse des prix sur la durée s’avère alors une incitation indispensable au développement de la production et à une meilleure gestion de la ressource ; elle seule rend rentables des techniques coûteuses mais indispensables. Elle peut être accentuée par des règles publiques ou une fiscalité spécifique visant à limiter la consommation ou à favoriser les investissements et la recherche technique.

Ceci dit, la gestion sur la durée longue est une chose, l’ajustement de l’offre et de la demande une autre. Celle-ci suppose un marché. La volatilité des prix sur le marché est-elle excessive ? Oui … mais elle a toujours existé : historiquement, elle est mise en évidence au moins depuis le XIe siècle. L’ajustement de l’offre et de la demande n’est pas facile quand mauvaises récoltes, intempéries, sinistres ou événements politiques interviennent sans cesse. Rappelons-nous simplement les chocs pétroliers, les débats homériques des années 70 sur le cours du cuivre ou considérons le cas actuel de la Côte d’Ivoire avec le cacao.

Faudrait-il supprimer ces marchés ? Non, ou plutôt cette idée est littéralement absurde. Les matières premières sont produites partout sur la planète, consommées partout, et sont particulièrement transportables et fongibles. Chacun, chaque pays peut donc vouloir les vendre ou les acheter, en recherchant les meilleures opportunités. Bien sûr il y a des cas où soit la production soit l’importation peuvent légitimement être restreints par des décisions publiques ; mais au niveau d’ensemble, les producteurs comme les consommateurs ont besoin d’une perspective la plus large possible sur les opportunités offertes, et au moins que cette possibilité leur soit ouverte. Donc d’un accès à des échanges au niveau mondial.

Et la gestion de ces ressources suppose aussi cette possibilité. On ne développe des ressources que pour pouvoir les faire fructifier, et donc si on dispose d’un marché. Les alternatives sont soit un repli généralisé de chaque pays sur lui-même, qui est en fait un énorme gaspillage de ressources, soit une utopie étatiste mondiale - qui est non seulement irréaliste, mais kafkaïenne.

Faut-il se résigner aux marchés actuels et à leurs imperfections ? Non, à nouveau. Il y a marché et marché, des marchés opaques ou manipulés, et des marchés lisibles, transparents et régulés. Au minimum la question est d’abord celle des matières premières elles-mêmes : combien en produit-on ? où ? avec quelles prévisions ? Quelle est la demande etc. ? Difficile et technique, le sujet est considérablement compliqué par une dimension politique extrêmement prégnante. C’est cette question de la transparence des marchés et de l’accès de tous à l’information et aux transactions qui est prioritaire, accès qui, sur les marchés physiques n’est que la pâle ombre de celui exigé sur les marchés financiers. Il en est de même de la surveillance et de la lutte contre les manipulations. Ensuite dans un deuxième temps il faut appliquer les mêmes règles aux marchés dérivés, même s’ils sont un peu moins opaques.

En d’autres termes on a besoin, au niveau international, d’une régulation d’ensemble pour avoir autant que possible des marchés dignes de ce nom : transparents, informés, accessibles, non manipulés, capables de réaliser l’équilibre de l’offre et de la demande telle qu’on peut la connaître au mieux à chaque instant tout en intégrant ce qu’on peut savoir de l’avenir.

Et la finance ?

Mais, dira-t-on, tout cela n’est-il pas perverti par l’irruption de la finance ? Les horribles financiers ! Dénoncer leurs errements est bien pratique. Les accuser d’accélérer les fluctuations l’est tout autant, voire de les créer. Ces fameux dérivés de matières premières ! Ces hedge funds manipulateurs ! A en croire certains, il suffit de les réguler, et voilà ramené l’ordre.

Ce serait pourtant une lourde erreur. La cause principale des irrégularités du marché n’étant pas là, on fuirait devant une de nos responsabilités historiques les plus urgentes : la gestion collective, transparente, sur longue durée, des matières premières elles-mêmes, et la réforme de leurs marchés.

Ceci dit la question subsiste. L’irruption de la finance notamment sur les marchés de dérivés doit être surveillée de près, et traitée. De mêmel’intervention de spéculateurs. Qu’ils amplifient les mouvements, au moins dans une série de cas, c’est probable. Observons quand même qu’un marché particulièrement volatile comme celui du riz n’est quasiment pas financiarisé. Observons également que pour l’heure les travaux scientifiques, peu complaisants pour les financiers, peinent à établir cette amplification. D’autres éléments montrent même que sans les financiers, beaucoup de besoins de couverture exprimés par des acteurs industriels ou agricoles ne seraient pas satisfaits, faute de contreparties. Ici comme ailleurs la finance est consubstantielle au développement économique, et l’un des enjeux de la régulation est qu’elle intervienne à bon escient. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne les dérivés de matières premières : c’est peut-être l’intérêt de l’attention qui leur est désormais portée que de souligner l’importance, ici aussi, des rouages financiers. Bien régulés, pas sauvages.

Le besoin de régulation ne fait donc pas de doute : d’ailleurs, même si elle n’est que marginale, toute réduction de la volatilité, de l’opacité, et donc de l’incertitude, est un objectif indiscutable.

Pistes pour la réforme

Quels axes suivre alors ? Deux sont prioritaires.

Le premier concerne le marché physique. Malgré la puissance des moyens à notre disposition, l’information de base reste trop souvent lacunaire. La hausse des prix du blé n’aurait sans doute pas eu lieu il y a trois ans dans les mêmes proportions si, face aux inquiétudes nées des incendies russes, on avait eu une connaissance suffisante des prévisions de production des autres zones géographiques et de l’état des stocks. Le sujet est toutefois loin d’être simple : beaucoup d’informations ont un caractère stratégique pour les opérateurs…et pour les Etats. Connaître le niveau de l’offre et de la demande agricoles en Chine est décisif pour l’appréciation des équilibres mondiaux ; on en est loin.

Le second axe de régulation concerne les dérivés. Les régulateurs des marchés doivent développer une connaissance de ces marchés qui, sauf aux Etats-Unis, ont longtemps été à la périphérie de leur champ d’action, sinon franchement négligés. En pratique d’ailleurs, la surveillance de ces marchés n’a été en générale opérée qu’au travers de la surveillance des établissements financiers, placés eux dans un cadre strict alors qu’ils n’en sont pas les principaux acteurs. C’est donc en donnant aux régulateurs les moyens d’une meilleure connaissance de ces marchés, de leurs intervenants et des interactions qui s’y produisent avec les marchés physiques, que des initiatives de régulation adéquates pourront être prises (compensation, organisation du marché, etc.). Le cas échéant en limitant l’intervention de certaines catégories d’acteurs reconnus déstabilisateurs.

L’un et l’autre conduisent à progressivement élaborer cette autorité à niveau mondial qu’évoque Benoît XVI dans Caritas in veritate. Qui n’est pas un super-Etat utopique ; mais un nom d’ensemble pour la prise en charge commune de besoins concrets, à traduire pragmatiquement dans chacun des champs où le besoin apparaît crucial. Or la question des matières premières nous concerne tous.

Les imprécations sont en revanche peu utiles face à des réalités aussi complexes et résistantes, mettant en jeu des intérêts politiques et économiques énormes. La mobilisation doit être mondiale, initiée par une volonté politique puissante. Cela risque d’être plus dur encore que le réchauffement climatique …Ce n’est pas une raison pour ne pas s’y mettre, et vite.

Version enrichie d’une tribune parue sur Le Cercle-les Echos.



1 Message

  • Sans titre

    5 août 2013 15:19, par Hervé Folliard
    Effectivement il est scandaleux de parler de spéculation lorsque dans certains coins de la planète des gens meurent de faim. Oui, il convient de mettre au banc des accusés les traders, les hedge funds. Mais aussi les grandes banques centrales qui proposent de l’argent à vil prix aux salles de marché pour qu’elles puissent s"’amuser" sur ces divers segments de la cote en produits dérivés (faisant ainsi grimper les cours au possible) au lieu d’investir ce cash dans l’économie réelle. Cependant, comble du paradoxe, est-il bon de rappeler que les graphiques utilisés par les opérateurs pour réaliser des transactions financières pas toujours très "catholiques" sur les Matières Premières par exemple, se lisent avec des "chandeliers japonais"... Ces dits "chandeliers japonais" inventés jadis pour "commercer" sur le marché du... riz ! Hervé Folliard















































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