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Les Droits de l’Homme : valeur suprême ou tabou ambigu ?


samedi 2 février 2013









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Un monument fragile, il faut revoir les fondations

Vous avez dit Droits de l’homme. Vous croyez que vous avez donné une référence irréfutable. A notre époque c’est vrai, ce sont les tables de la Loi, la vérité ultime que nul ne peut remettre en cause. Et donc tout le monde les invoque.

L’intention affichée est louable : protéger l’homme du pouvoir, reconnaître la nécessité pour la société de lui reconnaître sa place et la possibilité de son épanouissement.

Malheureusement l’énoncé de ces droits n’a rien d’évident. Tels qu’ils sont formulés les énoncés des Déclarations solennelles sont bien souvent ambigus, ni fondés, ni conclusifs. Un bref examen le confirme.

Les déclarations de droits et leurs lacunes

D’abord il y a plusieurs déclarations des droits, et elles ne disent pas la même chose sur des points essentiels : la déclaration de 1789, seule légale en France malgré ses graves limites ; celle de 1948 seule reconnue internationalement mais pas en France ; mais aussi les innombrables proclamations générales ou partielles qui ont été produites depuis, ne serait-ce que la charte européenne. Si on les réécrit régulièrement, c’est que la question n’est pas si claire qu’on le pense naïvement. En fait ces droits supposés permanents varient sans cesse, au gré de l’évolution des mœurs ou de l’idéologie officielle. Celle de 1789 est brut de décoffrage : abrupte, ultralibérale, individualiste et relativiste. Elle annonce par là la modernité et même la postmodernité y compris dans ses points les plus douteux. Celle de 1948 est sans doute la plus équilibrée ; elle a d’ailleurs été le fruit d’un vrai débat international, au sortir de la guerre, associant des représentants de cultures diverses. Ce qui ne veut pas dire qu’elle répond à tous, loin de là hélas. Mais il est clair qu’en droit français c’est elle qui devrait prendre place dans la constitution, et pas celle, écrite à la hâte, qui a été proclamée peu avant les drames de la Révolution.

Un premier fait majeur est à noter : aucune ne dit au nom de quoi elle parle. Au mieux on évoque la dignité humaine, ce qui est sûrement bien ; mais très symptomatiquement on en parle sans dire ce que c’est, ni pourquoi l’homme a une dignité. On affirme en outre que reconnaître cette dignité apporte la paix ou la justice, mais on ne dit pas pourquoi.

En revanche la question des devoirs est passée sous silence, ou à peine évoquée (un peu plus en 1948). Alors qu’il est évident que si on énonce les droits de Pierre, c’est qu’on dit à Jules qu’il doit les respecter. Et si Jules ne ressent pas un tel devoir, les droits de Pierre sont des mots en l’air. Dit autrement, sans une culture morale qui dit à chacun ce qu’on attend de lui, et notamment qu’il recherche le bien, le sien et celui des autres, les déclarations ont toute chance de rester lettre morte. Sauf à voir ces droits comme de pures revendications – adressées à un Etat supposé capable de répondre à toutes les attentes. Mais l’Etat n’est pas moral en lui-même. Il respectera ses devoirs s’il est politiquement orienté dans le bon sens ; donc si les citoyens le sont. Et donc, sans culture morale dans la société, des droits proclamés ne sont qu’une piètre protection.

Les déclarations n’évoquent en outre que très rarement le plein développement de l’homme ou le bien commun de la société (et encore une fois, ce n’est qu’en 1948 qu’on le fait) ; et corrélativement très peu les communautés qui font le tissu de cette société et sont le vrai lieu d’épanouissement de l’homme réel. Le plus sympathique à ce sujet est cet excellent passage de 1948 qui reconnaît la famille comme « l’élément naturel et fondamental de la société », qui « a droit à la protection de la société et de l’Etat ». On est ici aux antipodes de la déclaration de 1789, qui ne connaît que l’individu et ses caprices.

Les mêmes limites apparaissent quand on entre dans le détail des droits. Le seul élément indiscutablement positif, et de loin, est ce qui vise l’état de droit, le respect de règles de droit. Mais cela reste de la technique juridique, aussi précieuse soit-elle. On s’excite en revanche et on devient prolixe dès qu’il s’agit des libertés individualistes, et notamment de la liberté de parler. Mais sans la relier à ce que dit celui qui parle. On a donc l’impression qu’il est plus important de parler pour ne rien dire que de viser des choses vraies, bonnes ou vraies, car ces trois mots sont absents de nos déclarations. On explique même que la société est faite pour respecter de tels droits. Mais sur quoi se fonde le droit supposé sacré à dire n’importe quoi ?

En définitive donc, même en 1948 ce qui l’emporte ce sont les droits individuels face à la société, avec seulement quelques allusions au fait pourtant évident que cette vie commune optimale que nous souhaitons tous ne s’établira que si chacun a compris deux choses : d’abord qu’il a surtout des devoirs envers les autres, notamment avant de revendiquer ses droits ; ensuite qu’on n’atteint son plein développement qu’en reconnaissant qu’il y a des choses bonnes ou belles, en soi, et qu’on ne les atteint que par la société - si du moins elle est bien orientée.

Fluctuations et oublis

Bien entendu avec des bases aussi fragiles, pas étonnant que la liste des droits ait constamment varié. Aujourd’hui, avec l’avortement et l’euthanasie, elle n’aurait plus rien à voir avec les idées des déclarants de l’époque. Mais ceux-ci étaient eux-mêmes étrangement aveugles : en 1789 ils ne connaissaient aucun des droits sociaux qui nous apparaissent aujourd’hui évidents et qu’on considère maintenant au cœur du « pacte républicain » : santé, éducation, droits au travail etc. Et on voit maintenant proclamé le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, au développement, à la paix, à un environnement sain, au patrimoine de l’humanité, à l’assistance humanitaire etc. Le processus n’a pas de raison de s’arrêter, on en trouve sans cesse de nouveaux, par affirmations successives éventuellement incohérentes. Inutile d’insister sur le flou juridique qui en résulte. Par exemple, le tabou de l’avortement empêche de reconnaître l’embryon comme un être humain ; mais on déclare qu’il le faut pas les vendre, au nom de la dignité humaine ; d’où cette aberration qu’on peut tuer des embryons mais pas les vendre. Mais quelle est la force d’une déclaration qu’on peut bouleverser sur la base d’un courant d’opinion, 50 ans seulement après sa proclamation ? Quelle protection offre-t-elle contre les fluctuations de l’opinion du moment ?

Notons inversement que contrairement à une idée reçue, l’égalité est de loin le parent pauvre toutes de ces déclarations. Elle y est vue essentiellement en termes d’égalité de droits civiques et de participation au débat démocratique. Ce qui est étonnant quand on pense à son rôle de référence dans nos sociétés démocratiques. Ne relève-t-elle pas en fait de l’incantation ? Ou ne sert-elle pas de prétexte pour cacher une autre marchandise ? Par exemple pour pulvériser une conception naturelle de l’homme, comme on le voit aujourd’hui avec le mariage.

Ces mêmes déclarations sont en revanche dépourvues du moindre doute sur l’affirmation de la valeur universelle et définitive de la démocratie libérale. C’est pour elles le seul système humain et apparemment cela restera vrai à jamais. Cette certitude impavide laisse quelque peu rêveur.

Au total en tout cas, ce qu’on constate est que ces déclarations, supposées avoir un rôle fondateur et permanent, sont des documents de compromis transitoires, trop souvent imbibées du paradigme relativiste qui nous domine. Surtout celle de 1789 - ce qui en fait tout sauf un document neutre et impartial, propice à entrer dans une constitution comme la nôtre. Celle de 1948 est plus satisfaisante à ce sujet, bien que tiraillée entre des tendances différentes. Tout indique donc qu’elles devront être revues à nouveau à l’avenir – et qu’en même temps l’exercice s’annonce difficile.

Comment fonder des droits ?

C’est qu’en fait il n’y a qu’une solution pour un tel fondement : reconnaître qu’il y a une nature humaine et une morale objective. Comme le dit John Finnis, « on ne peut raisonnablement affirmer l’égalité des êtres humains, ou l’universalité des droits de l’homme et leur caractère obligatoire, si on ne reconnaît pas qu’il y a quelque chose dans les personnes qui les distingue radicalement des créatures non rationnelles, et qui, avant toute reconnaissance de statut, est intrinsèque à la réalité factuelle de tout être humain, adulte ou immature, en bonne santé ou handicapé ». Ou, comme dit Joseph Pieper, pourquoi un être humain aurait-il droit à quelque chose uniquement parce qu’il est un être humain ? Par exemple qu’il est objectivement vrai qu’on a le devoir de respecter l’être humain et que cela implique qu’on reconnaisse sa nature d’être à la fois sensible et raisonnable, capable d’atteindre une forme d’épanouissement qu’il est bon et juste de rechercher, et que cela suppose son insertion dans une communauté où il peut être reconnu et respecté, et que lui-même reconnaît et respecte (d’où ses devoirs). Une telle dignité ne peut se fonder sur le seul tabou de son autonomie, sans aucune considération de ce qu’il fait ou est.

On est donc nécessairement conduit à insérer les droits de l’homme dans la logique de ce qu’on appelle la loi naturelle, ce qui implique un important renouvellement de l’idée qu’on a de ces droits. En comprenant bien entendu que cette nature humaine est dynamique et téléologique, c’est-à-dire que l’homme est tendu vers des objectifs dont certains accomplissent cette nature mieux que d’autres. Car si tout se vaut, on ne voit pas sur quoi fonder des droits, qui sont normalement des droits à agir. S’il y a des droits, c’est que la nature humaine est une réalité, et que cette réalité est une tâche. En d’autres termes, on peut difficilement se passer d’un minimum de conception philosophique commune sur ce qu’est l’homme, au moins implicitement, et de le voir notamment comme être tendu vers un but supérieur et qui tire de là sa dignité. Dans un tel contexte, la plénitude de la liberté pleine signifie le plein accomplissement de ce que nous sommes ; et ce n’est que comprise ainsi que la liberté est un bien majeur, parce que c’est alors un aspect du Bien ; et elle se situe au terme de nos efforts, plus qu’au début.

Cela ne veut pas dire pour autant qu’il faille cesser de parler de droits, et de ne mentionner que les devoirs. Le terme de droits a le gros défaut de n’insister que sur la revendication, sans rappeler à la personne que ce sont tous d’abord des devoirs. Mais parler de droits est très utile, voire indispensable juridiquement. Et cela rappelle qu’on doit quelque chose à la personne humaine comme telle. Mais il faut fonder et comprendre ces droits de façon très différente de ce qu’on fait couramment.

Dans cette voie on se retrouve alors aux antipodes de la conception de 1789, où il s’agit pour l’individu de rechercher comme il l’entend son bon plaisir, en général son simple avantage. Conception qui anticipe étonnamment le relativisme actuel. L’individualité subjective y est maintenant sacrée, c’est une sorte de nouvelle religion. Mais les droits de cet individu, tels qu’il les apprécie subjectivement sont potentiellement indéfinis et sans limite : on substitue donc le culte des désirs à celui de la réflexion ; et on est alors conduit à proclamer sans cesse de nouveaux droits, éventuellement contradictoires. Elle se combine avec une revendication lancinante et moutonnière pour le respect des droits, alors que c’est justement la proclamation permanente de ces droits mal compris qui entraîne une liberté anarchique fondée sur l’idolâtrie du moi, nuisible aux autres et à soi-même.

L’honneur

On peut rappeler en complément qu’une notion peut permettre de compléter ou corriger efficacement celle de droit ou celle de dignité : c’est l’honneur. L’honneur est quelque chose qu’on peut perdre, mais aussi qu’on peut accroître. C’est à la fois un patrimoine à conserver (car il est périssable) mais surtout un programme positif : il s’agit d’aller au bout de ce que l’on peut être de mieux. Il repose sur une idée de nature, mais elle est vue dans la perspective de ce que peut devenir cette nature, quitte à se surpasser. Il suppose le regard des autres. Cela ne nie en rien la dignité (et donc les Droits de l’homme bien compris), au contraire. Mais cela fournit un antidote possible à l’égard de ses dérives, et c’en est en même temps la forme sublimée.

Que nous apporte au mieux la notion de dignité, le sens juste des Droits de l’Homme sinon cette idée : respectons chacun, si idiot ou ignoble puisse-t-il nous paraître ? Ce respect est un bien, indiscutable en soi. Mais doit-on s’arrêter là ? Qui donnera un sens à la vie en se limitant à cela ? Dit autrement, quelle sagesse, quel héroïsme, quel idéal humain, quelle civilisation sont possibles sur la seule base d’une Déclaration des Droits ? Sans les amoindrir, il faut donc aller au-delà. Au niveau humain, l’honneur peut être une étape majeure.

Additif au 18 mai 2013

Le Conseil constitutionnel vient de confirmer la loi Taubira – sans surprise. Car dans notre système juridique, comme il l’explique, la seule possibilité aurait été une atteinte aux droits et libertés fondamentales. Ceux-ci sont compris à la lumière de la déclaration des Droits de l’Homme de 1789, incorporée à la constitution. Mais rien dans cette déclaration ne dit quoi que ce soit de la famille, ni encore moins de ce qu’est un père ou une mère, ni du droit de l’enfant à ses (vrais) parents. Il se confirme donc que c’est une déclaration utile dans certains domaines, mais mutilée parce que trop individualiste et intrinsèquement relativiste. Cela veut donc dire que le changement à opérer est très profond. Puisque, logiquement, cela conduit à modifier et enrichir la déclaration des droits de l’homme…
















































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