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Le conflit de Gaza est-il une guerre juste ?


samedi 4 novembre 2023









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Je sais bien que ce n’est pas très populaire ni jugé très crédible, mais je vais examiner ici la question sous l’angle moral, celui de la notion de guerre juste. L’excellent Michael Walzer a fait récemment un examen de ce type sur des bases un peu différentes.

Rappelons pour faire simple que dans la conception classique de celle-ci (voir www.pierredelauzun.com/Geopolitique... ; en note ici la formulation catholique [1]), il y a pour cela quatre conditions : un motif juste et notamment un grave dommage subi, l’absence de moyen alternatif, des chances raisonnables de succès, et la conviction raisonnable qu’en agissant ainsi on débouchera sur une situation meilleure.

Je ne remonterai pas aux origines du conflit israélo-arabe ; je renvoie ici à mon article « Le conflit israélo-palestinien : la frustration d’un conflit sans bonne solution » www.pierredelauzun.com/Le-conflit-i...). Mais je prends les parties prenantes là où elles sont : Israël, Gaza et le Hamas, ainsi que les parties externes.

Légitimité d’un recours à la guerre : le mobile

La question de la justesse de la guerre est rapidement tranchée du côté du Hamas : c’est évidemment non pour le 7 octobre et plus généralement pour le principe du terrorisme. Immoral par lui-même, le terrorisme est presque toujours contre-productif (voir www.pierredelauzun.com/Le-paradoxe-...). La même réponse évidente vaut aussi pour leur but déclaré, la destruction d’Israël : cela ne peut évidemment pas être une situation meilleure. La cause palestinienne est une tout autre question : elle n’a de sens que pour faire sortir cette malheureuse population de l’impasse où elle se trouve ; mais l’action du Hamas aboutit au résultat exactement inverse.

Reste donc le cas d’Israël. En l’occurrence, la question immédiate vise la réaction d’Israël après l’agression du Hamas sur son territoire, et les terribles massacres qui ont eu lieu à cette occasion.

En soi, le droit à la légitime défense implique le droit à faire en sorte que cela ne se reproduise plus. Or le Hamas affiche vouloir la destruction d’Israël. Et il ne semble pas raisonnable d’imaginer une quelconque négociation avec lui, aboutissant à un accord de bonne foi. Il n’y a donc de ce point de vue pas d’autre solution qu’une action militaire au sens large.

Selon la théorie de la guerre juste, le mobile pour agir est donc fondé. Restent les autres conditions : chances raisonnables de succès, et conviction raisonnable qu’en agissant on débouchera sur une situation meilleure.

Légitimité d’un recours à la guerre : l’absence de moyens alternatif et les chances raisonnables de succès

Quelle action militaire dans l’immédiat ? Il semble qu’il y ait eu ici un dilemme relativement binaire sur le but de guerre immédiat : soit on cherche à détruire le Hamas, ce qu’Israël a entrepris ; soit on se borne à des représailles éventuellement intenses couplées avec le renforcement de la défense des frontières. La deuxième hypothèse limitait la casse immédiate ; mais elle laissait intacte la menace du Hamas.

Mais c’est la première qu’Israël a choisie. Or comme tous les observateurs l’ont relevé dès avant le début des opérations, la situation sur le terrain est très spécifique du point de vue militaire, le Hamas contrôlant un territoire essentiellement urbain et très densément peuplé, équipé pour résister, avec des réseaux de tunnels considérables. Dans cette optique, l’action militaire était et reste à ce jour aléatoire, et surtout très coûteuse en vie humaines et destructions, y compris des effets collatéraux de pertes civiles nombreuses. Celles-ci font en outre l’objet d’une communication mondiale intense (ce qui, rappelons-le incidemment, n’est pas vrai de tous les conflits, tant s’en faut : l’Afrique en sait quelque chose, ou le Yémen, ou même le Karabakh). S’y ajoutent d’un côté la présence d’otages nombreux, et de l’autre l’environnement moyen oriental avec le risque d’un embrasement général.

Si on choisit l’option dure, visant à détruire le Hamas, comme l’a fait Israël, moralement cela veut dire qu’on estime d’une part pouvoir y arriver (évaluation militaire d’un succès possible) ; et d’autre part que les effets de destruction cités (pertes civiles nombreuses, mort des otages, dégradation de la situation régionale) soient réduits au minimum par une conduite de la guerre appropriée, et qu’ils puissent être assumés au vu du résultat attendu : la disparition d’une force menaçante essentiellement destructrice. C’est un véritable dilemme, et la réponse morale n’est pas immédiate, notamment d’un point de vue externe et sans information suffisamment précise sur les données militaires du débat.

Politiquement en revanche sur le plan interne, le choix de cette option était sans doute inéluctable.

Légitimité d’un recours à la guerre : déboucher sur une situation meilleure

Reste la dernière condition pour qu’une guerre puisse être considérée juste, la plus importante : comment s’assurer que même une victoire sur le terrain assurera la fin de la menace et permettra d’aller dans le sens d’une paix raisonnable et si possible durable ? A savoir, une situation clairement meilleure que s’il n’y a pas de guerre (ou une opération bien plus limitée). Ce qui dépendra à la fois de la situation sur le terrain en cas de victoire (qui prendra en charge Gaza ?), et de la situation régionale dans son ensemble. Je passerai sur le premier point malgré son importance ; on ne sait en effet pas ce qu’Israël pourra faire de Gaza en cas de victoire. Reste le second point, le plus décisif.

Il faut d’abord que le risque d’embrasement ne se vérifie pas. C’est possible mais pas certain. Mais un minimum pour cela est de bien circonscrire les buts de guerre ; en l’occurrence, un geste défensif. Ce qui comporte certes l’éradication du groupe terroriste ou plus exactement de son actuelle capacité de nuire, mais ne représente certainement pas une victoire du bien sur le mal. Il est donc absolument impératif de ne pas raisonner en guerre de civilisations ou en grand conflit idéologique. La guerre en cours a remis en selle le thème du conflit de civilisations, notamment à droite, et bêtement. Or c’est le piège par excellence, le moyen le plus sûr pour souder des blocs antagonistes. Comme je l’ai montré par ailleurs, un supposé conflit de civilisations est en réalité un conflit d’idéologies ; et voir les relations internationales comme conflits d’idéologies est le plus sûr moyen pour les envenimer et les radicaliser. C’est d’ailleurs la stratégie du Hamas. www.pierredelauzun.com/Des-conflits....

Mais surtout il faut aussi prendre en considération la situation locale et régionale après l’opération. On ne peut en effet apprécier le juste fondement d’une guerre que dans une perspective longue, considérant l’ensemble de la situation. Et alors, de deux choses l’une. Soit Israël propose à un moment approprié un plan de paix raisonnablement crédible, donc avec une forme ou une autre d’Etat palestinien (hors Hamas évidemment) ; mais cela suppose la viabilité des territoires palestiniens, et donc un abandon de la colonisation en Cisjordanie, y compris d’une part appréciable de celle déjà réalisée. Soit Israël écarte cette hypothèse et poursuit sa politique de réduction progressive des territoires palestiniens. Mais cela signifie alors que le problème subsistera intégralement ; la seule stabilisation possible de la situation impliquerait alors d’une manière ou d’une autre le départ des Palestiniens, ce qui n’est ni juste, ni crédible : ils ne partent pas, et leur natalité est forte.

D’un point de vue de la guerre juste, dans cette deuxième hypothèse l’objectif de la guerre devient contestable ; en tout cas elle ne peut être qualifiée de guerre juste. Dit autrement, en supposant même qu’on réponde positivement au dilemme moral évoqué ci-dessus, et que la conduite de la guerre soit acceptable, une opération aussi violente et brutale que l’intervention chirurgicale en cours sur Gaza ne peut être qualifiée de juste, que si, paradoxalement, elle s’accompagne au moment approprié d’une offre de paix crédible.

Notes

[1] Le catéchisme de l’Eglise catholique la formule ainsi au n° 2309 : « Il faut considérer avec rigueur les strictes conditions d’une légitime défense par la force militaire. La gravité d’une telle décision la soumet à des conditions rigoureuses de légitimité morale. Il faut à la fois : – Que le dommage infligé par l’agresseur à la nation ou à la communauté des nations soit durable, grave et certain. – Que tous les autres moyens d’y mettre fin se soient révélés impraticables ou inefficaces. – Que soient réunies les conditions sérieuses de succès. – Que l’emploi des armes n’entraîne pas des maux et des désordres plus graves que le mal à éliminer. La puissance des moyens modernes de destruction pèse très lourdement dans l’appréciation de cette condition. Ce sont les éléments traditionnels énumérés dans la doctrine dite de la ‘guerre juste’. L’appréciation de ces conditions de légitimité morale appartient au jugement prudentiel de ceux qui ont la charge du bien commun. »


















































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