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Mondialisation, nation et démocratie


dimanche 2 mai 2010









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Le dilemme politique de notre temps

La cohabitation entre un système économique capitaliste et la souveraineté nationale démocratique n’est jamais allée de soi . Et cela ne sert à rien d’idéaliser la période très particulière de l’après-guerre, où les deux ont convergé. La logique des marchés et des affaires est différente de celle de la vie politique comme des priorités démocratiques. Et il faut être conscient de l’incapacité des entreprises et des milieux patronaux à comprendre la vie politique, ses réalités et ses contraintes : pour fonctionner, elle doit être assumée par d’autres qu’eux, même si les entreprises influencent le processus politique et social. Les deux systèmes peuvent donc diverger, ce qui entraîne une frustration des citoyens, dont les budgets portent la trace. Ceci dit la démocratie peut difficilement fonctionner sans économie de marché, alors que l’inverse n’est pas évident : la Chine nous offre l’exemple d’un capitalisme florissant dans un pays non démocratique. Bien qu’incapable par nature d’assumer la fonction politique, l’économie capitaliste a une capacité d’autonomie et d’adaptation supérieures à la lourde mécanique démocratique. Mais à vrai dire, dans le champ politique moderne, plus que la démocratie, relativement fragile, le point fort est la nation, et a fortiori l’état-nation lorsqu’il est constitué. La démocratie a besoin d’une communauté nationale solide et cohérente car en commun se trouve la notion de peuple : toute vie collective suppose une identification mutuelle, des liens assurant une cohésion subjectivement vécue et assumée. Mais l’inverse est moins évident : le principe national peut être fort sans qu’une démocratie formelle existe.

L’Etat-nation démocratique (inséré dans une économie de marché) a résulté de la combinaison de ces divers éléments, et a été le modèle indiscuté de l’après-guerre. Mais la mondialisation économique a remis en cause ce modèle de gestion de l’économie et du social, perçu depuis 1945 comme un facteur de cohésion majeur. Et l’économie semble largement échapper à l’emprise des Etats, au moment même où ils s’empêtrent dans de lourdes politiques de redistribution. L’ampleur des prélèvements finit par être jugée insupportable dans la compétition ; et le sentiment même de solidarité est atténué. D’où des tensions à l’intérieur des pays avancés, qui sont démocratiques. La probabilité est que tout ceci finisse par faire voler en éclats le modèle social-démocrate. Mais cela remet-il en cause le rôle central de l’Etat nation ? Nous ne le pensons pas. Il faut écarter d’abord l’idée que les entreprises puissent mettre en place un niveau de pouvoir quasi-politique qui dépasse les Etats et leur échappe. Elles ne constituent pas en elles-mêmes des communautés véritables, capables de se substituer au politique ; et sauf très rares exceptions elles ne s’emparent ni de l’usage de la force, ni de l’aptitude à dire le droit, ni de la gestion d’un peuple ou d’un territoire. Même si par leur poids financier elles peuvent influencer la voix des média, l’essentiel leur échappe : en témoigne l’emprise dominante de la rhétorique de gauche sur les médias dans tous les pays, Etats-Unis compris. De leur côté, les organisations internationales peuvent à l’occasion relativiser le pouvoir des Etats-nations. Mais elles n’ont pas de pouvoir par elles-mêmes, au-delà des Etats qui les mandatent. Le dépassement de l’Etat national est donc à vue d’œil improbable. La mondialisation doit cohabiter de façon durable avec le maintien d’entités nationales.

Mais de l’autre côté, ces Etats, affaiblis par la mondialisation, voient les demandes de leurs citoyens s’accroître, parfois de façon impossible à satisfaire, ce qui secoue le consensus national, au moment même où les structures de solidarité s’affaiblissent, à commencer par la famille ou l’identification culturelle. Ceci dit, si ces facteurs affaiblissent la capacité des Etats nations à agir ils n’en diminuent pas le rôle. Les Etats-nations sont seuls garants de la stabilité et de la solidarité des sociétés et plus encore de leur sécurité (vitale dans une époque d’instabilité), de la santé à la sécurité physique et économique à la compétitivité, sans parler du droit (l’exécution des contrats). La gestion de la force physique, militaire, policière et judiciaire, normative et fiscale, est un monopole d’Etat. On peut même dire que la mondialisation serait impossible, sans la sécurité sous toutes ses formes que les Etats procurent. Partout hors Europe le sentiment national et la souveraineté étatique restent forts, excluant toute tendance à l’unification. Certes un pays domine le processus de mondialisation, les Etats-Unis. Mais Etat-nation par excellence, ils ne sortent pas de ce cadre. C’est même parce qu’ils sont ‘démocratiques’ qu’ils résistent à toute construction supranationale d’ordre politique qui voudrait se surimposer à ce processus. Et ce n’est un empire qu’au sens figuré car ils n’assument pas la responsabilité politique d’autres pays, sauf exception. En outre il faut rappeler les limites de ce pouvoir : la prédominance chez eux des facteurs internes, et une tendance à poser les choix extérieurs en blanc ou noir. Certes on discerne l’émergence d’autres formes de domination, largement américaines, qui ne se concentrent pas sur le politique, mais sur d’autres sphères, économiques ou culturelles, non démocratiques, et on peut imaginer une densification de ces réseaux internationaux qui ronge la réalité des autres pouvoirs. Les Etats-nations pourraient se maintenir, préservant la légitimité démocratique, mais troquant une partie de leur rôle souverain contre celui de lobbyiste. On aurait alors un contournement relatif du pouvoir politique, en partie rationalisé par la complexité des questions posées, nécessitant des opinions d’experts difficiles à évaluer démocratiquement. Une telle évolution prolonge des traits constatables dès aujourd’hui. Mais sa faiblesse principale serait politique. En effet il n’y aurait pas de structure politique légitime, au-delà des apparences, et le seul cadre légitime resterait étatique et national, quoique affaibli. Ce ne pourrait donc être au plus qu’une situation de transition. En outre un tel système ne pourrait s’étendre à toute la planète, surtout pas en Asie, où le sentiment national est intense, et fort des résultats obtenus.

Si donc le rôle du niveau politique reste irremplaçable, et ne se situe à vue humaine qu’au niveau de l’Etat-nation, il garde une capacité d’action appréciable par rapport aux acteurs de la vie économique et financière mondialisée. Les entreprises multinationales, quelle que soit leur force, ne peuvent définir les conditions de vie collective des hommes, les sociétés, qui relèvent du politique. Quant aux marchés, notamment financiers, cela fait des siècles qu’ils existent, et sont une donnée exogène pour les décideurs politiques. Mais un marché ne fait que refléter un état des rapports économiques du moment ; il ne dicte pas à lui seul une conduite. Il ne faut pas négliger les indications qu’il donne, mais ce ne sont que des indications de prix, des paramètres importants pour la faisabilité de telle ou telle action mais qui ne dictent pas le choix. Certes le poids des uns et des autres est plus important qu’il n’était autrefois, du fait de la division du travail au niveau mondial et du jeu de la compétition, et il serait vain de vouloir complètement échapper à cette contrainte comme telle. Mais ce n’est pas le diktat d’une conduite : c’est un environnement dont il faut tenir compte.

En fait la vraie contrainte, la plus dure, pour un régime politique, surtout démocratique, est du côté de sa population : quelles sont les valeurs qui l’habitent, quelle est sa vision du monde et ses priorités ? Au niveau planétaire, ce qu’on constate est que le patriotisme est le meilleur indice de la volonté de développement et de progrès d’un pays. Un pays conscient de lui-même et décidé à assurer sa survie et son développement avec les meilleures chances, part avec un avantage majeur ; et les pays d’Europe ne font pas ici bonne figure, à l’opposé de l’Asie ou des Amériques. Mais cela ne suffit pas. Il faut en outre une claire conscience des enjeux, notamment culturels. Et c’est là que la défaillance est générale : même les pays d’Asie orientale qui ont montré l’efficacité d’un modèle culturel sur ce plan relativement traditionnel tendent à adopter les côtés douteux de la sous-culture américaine. C’est a fortiori vrai si on se fixe des ambitions plus nobles, dans la tradition catholique, car alors on mesure l’insuffisance spirituelle qui est la nôtre. C’est donc là que le bât blesse, et non dans les outils encore disponibles pour permettre de développer un vrai programme politique.

Juin 2008

(Publié à l’origine dans Permanence)

Pour en lire plus : voir notre livre Les Nations et leur Destin
















































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