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Vivons-nous aux dépens du futur ?


samedi 5 octobre 2013









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Vivons-nous aux dépens du futur ?

La finance et l’écologie

Vivons-nous aux dépens des générations futures ? Et si oui, par quels mécanismes ? A notre époque deux grands domaines sont d’emblée à convoquer : l’écologie et la finance. L’une regarde quelle planète nous laisserons aux générations futures, l’autre quels engagements nous prenons à leur place.

Que dit l’écologie ? Que nous consommons des ressources rares et que nous accumulons des problèmes légués à ceux qui nous suivent. Dans un cas nous avons consommé aux dépens du futur, dans le deuxième nous avons détérioré le cadre de vie et d’action de ceux qui y vivront. Et souvent on aura cumulé les deux.

Côté finance, le point central à regarder c’est l’endettement. Quel est le problème avec la dette ? C’est que des engagements sont créés aujourd’hui, qui lient le futur : par exemple, un futur retraité compte sur une épargne qui a été placée à crédit. Si elle n’est pas remboursée, ce à quoi il a droit n’est pas honoré. Mais du coup cela oblige quelqu’un d’autre. Mais si l’argent avait été investi en actions (ou en immobilier), notre homme pourrait être déçu dans ses espoirs, mais rien ne lui serait à proprement parler dû. L’avenir n’était pas lié. Par ailleurs que finance cette dette ? Si ce sont des investissements qui génèrent de quoi rembourser, il n’y a a priori pas de problème. Si c’est de la consommation, on n’a rien créé et on a reporté la charge et le risque correspondants sur les générations futures, y compris cette lourde nuisance qu’est un engagement financier excessif. Nous retrouvons donc les deux points évoqués avec l’écologie : consommation anticipée et nuisance future. Dans les deux cas notre responsabilité est engagée.

Ceci dit pour l’assumer il nous faudrait connaître l’impact futur de ce que nous faisons. Mais cela fait surgir un autre problème : il y a des cas où nous connaissons l’impact de ce que nous faisons, mais dans beaucoup d’autres il est difficile à évaluer. Nous agissons dans un contexte d’incertitude, nous prenons des risques. La question du risque est donc une dimension majeure de la réflexion sur ce que nous léguons aux générations futures - avec deux menaces opposées : l’irresponsabilité et la paralysie. Toutes deux sont nuisibles aux générations futures. Voyons cela de plus près.

Le pillage de l’avenir : endettement et pollution

Le scandale de l’endettement incontrôlé, notamment public

Prenons d’abord l’exemple le plus criant et le moins discutable de report sur l’avenir d’une charge largement sans contrepartie : l’endettement. La détention d’une créance donne au prêteur une sécurité, puisqu’elle lui confère un droit juridique sur les sommes visées, exigible devant les tribunaux ; mais elle est trompeuse si l’endettement n’est pas tenable. Elle implique en outre une mise à distance entre les deux parties : une créance n’a rien d’une association. Les actions sont de nature radicalement différente. Si une société finance des actifs (financiers ou matériels) par des fonds propres (des actions), et que son investissement tourne mal, elle perd de l’argent et éventuellement son capital. Mais là s’arrête l’effet direct. Si elle a emprunté, elle doit rembourser. Pour le débiteur la dette présente donc des risques importants : comme il est tenu juridiquement de la rembourser, cela peut le conduire à la faillite. Même en l’absence de faillite, il doit payer au minimum des intérêts, sans rémission possible. Alors que le capital (financement en fonds propres) n’a jamais à être remboursé et que sa rémunération (dividendes) n’étant pas obligatoire peut être différée en cas de difficultés. Le seul financement possible de l’aléa est en fonds propres : un argent dont la perte peut être envisagée, et dont on assume seul la responsabilité . Par nature la dette tend donc à obérer l’avenir. L’oublier est dévastateur. Et donc la moralité, c’est d’abord les fonds propres ! Le financement responsable du futur, c’est les fonds propres !

Ajoutons que l’endettement présente aussi ses effets de séduction du côté de l’emprunteur : c’est l’illusion du report des échéances actuelles, des choix à faire ; l’illusion aussi de pouvoir se développer bien au-delà de ses possibilités réelles ; et peut-être en dernière analyse, d’échapper à notre condition. On voit cela à l’œuvre aussi chez les décideurs politiques, avec la croissance délirante de l’endettement public dans les démocraties vieillissantes d’Europe occidentale, comme auparavant dans les pays du Tiers Monde. L’endettement (les effets de levier), certes utile à doses raisonnable, est vite une drogue dangereuse, d’autant plus dangereuse qu’il s’accompagne en général d’un sentiment de sécurité illusoire ou perverse. Et d’autant plus qu’il fournit par sa facilité immédiate un remède à la peur ou aux conflits dans la société, par fuite en avant. S’endetter c’est trop souvent ne pas faire face à un problème et le reporter sur l’avenir ; on l’a vu pendant la crise. Et c’est évidemment pire dans le cas d’un endettement qui finance de la consommation.

En particulier, hors projets économiques bien individualisés et rentables, un Etat ne devrait s’endetter que dans des cas exceptionnels et pour un temps limité. Si un Etat décide, comme l’ont fait les pays développés depuis 40 ans, de laisser filer son déficit budgétaire et de le financer par la dette, il rencontrera vite un plafond car on ne peut pas s’endetter indéfiniment. A partir de ce moment-là, il sera d’autant plus contraint à l’équilibre budgétaire qu’il devra assumer une gestion rigide de sa dette, sous l’œil attentif des marchés. Cet Etat aura alors perdu sa marge de manœuvre. En d’autres termes, la facilité de la dette publique ne marche qu’un temps : c’est le feu de paille d’une génération. Mais elle pèse lourdement sur celles qui suivent (y compris si on la répudie car on frappe alors les créanciers). La génération qui s’est endettée en a profité, mais la facilité ne vaut que pour elle. Après une phase initiale de dépenses, généralement de consommation, un Etat qui s’endette lègue aux générations futures un fardeau inutile et dangereux, aliénant du même coup non seulement sa capacité de décision politique, mais aussi sa capacité d’endettement, pourtant vitale en cas de vrai coup dur. C’est donc profondément immoral. Et contraire à la responsabilité politique, puisque ceux qui votent les dettes ne sont pas ceux qui paieront. De ce point de vue, l’accumulation de dette, générale dans les pays développés depuis 1980 environ, jette une lumière sinistre sur la fragilité de leurs équilibres sociopolitiques. Incapables de décider, on fait payer ceux qui n’ont pas voix au chapitre parce qu’ils ne votent pas. La seule solution véritable est d’organiser la disparition quasi-totale de la dette publique.

Endettement et pollution même combat

Soulignons maintenant l’analogie entre l’endettement et la pollution : avec la pollution aussi, une consommation immédiate, sans effort pour en faire traiter les conséquences, se traduit par un coût pour les générations futures. L’effet est donc très proche de celui de l’endettement. Le fait est bien connu, je n’insisterai pas.

Ceci dit il y a des différences sensibles entre les diverses situations que cela peut recouvrir. Rien ne justifie une consommation présente financée à crédit et dont le poids est reporté sur le futur. Rien ne justifie le gaspillage. Rien ne justifie le déséquilibre croissant des équilibres naturels, lorsque le fait est avéré. En revanche l’utilisation présente de ressources minières pourtant non renouvelables n’est pas intrinsèquement immorale : pour vivre il faut bien utiliser les ressources qui sont là sous la main, même non renouvelables, sinon on aboutirait à cette absurdité de ne jamais les utiliser à aucune époque. Mais bien sûr nous avons le devoir à la fois de ne pas les gaspiller, et d’investir pour trouver, à terme, des ressources alternatives, idéalement renouvelables, pour les remplacer.

En outre et comme on le voit immédiatement une différence appréciable entre l’écologie et l’endettement est la nécessité d’une mesure scientifique de l’impact de ce que nous faisons, pas facile dans le cas de la pollution, et compliquée par l’ignorance où nous sommes par construction de ce que seront les technologies du futur. Mais bien entendu cette incertitude ne fait pas disparaître la responsabilité morale : elle n’en rend que plus difficile la mise en œuvre. De même d’ailleurs pour la question pratique que tout cela pose : comment passer d’une mode de vie basé sur le pillage irresponsable, par pollution et par endettement, à une mode de vie soutenable ? Mais que la réponse soit complexe ne fait pas disparaître l’objectif. Et il va plus loin qu’on ne le pense : car si on parle de responsabilité morale, au minimum d’éviter de faire le mal, on évoque une discipline sur soi-même, altruiste : ne pas obérer par principe les générations qui suivent. Mais alors il n’y a plus de place pour le relativisme moral. L’impératif vaut pour tout le monde. Et là aussi il y a du chemin à faire.

La logique du risque, ou la nécessité de combiner prudence et foi

Le deuxième cas possible de prédation du futur par le présent est celui des risques pris. C’est d’ailleurs celui que soulignent le plus volontiers les prédications alarmistes. Par construction la question est plus complexe que dans le cas précédent, et les conclusions moins directes. Car si le risque est inévitable, la paralysie est pire. Et là aussi on touche à la fois à la finance et à l’écologie.

Le risque est inévitable

Le point central est qu’en réalité la vie est faite de risques assumés. Si on voulait toujours maîtriser tous les risques, non seulement on arriverait vite à une impossibilité, mais on prendrait en pratique des risques plus élevés. Un agent économique ne peut pas tenir compte de toutes les conséquences extérieures de ce qu’il fait (ce qu’on appelle les externalités). On connaît la solution politiquement correcte : le débat démocratique et l’action directe. Mais il faut être lucide : l’objectivité ou même la rationalité de ce débat sont contestables. Il se heurte plus encore que l’action individuelle à la difficulté de toute analyse de risque : non exhaustivité des données, impossibilité matérielle de tout approfondir, impossibilité de tout prévoir. Il faut y ajouter les limites de ses processus de décision hasardeux, et de l’absence d’un sujet conscient et responsable comme peut l’être une personne. Il y a donc contradiction entre le développement ou même la simple vie économique, impulsés par les personnes ou des collectivités agissant selon leurs perceptions, et la recherche d’une sécurité maximale. Le développement économique ne peut que nous éloigner de la possibilité de rendre le futur plus sûr. Or notre époque voudrait à la fois augmenter la marge d’action de chacun (ce qu’elle appelle sa liberté, comprise comme un arbitraire personnel), et maîtriser ce processus en recherchant plus de sécurité. Elle est donc en pleine contradiction. Ceci dit, même si on ne peut pas faire disparaître le risque, mais seulement en réduire l’éventail, on peut et doit le faire. Mais pour améliorer la rationalité de notre action et sa responsabilité, il ne suffit pas d’analyses plus précises et plus fiables : il faut aussi que les actions de chacun aillent dans autant que possible dans le bon sens, et qu’on évite les comportements manifestement nocifs. Donc qu’on se donne des repères et méthodes raisonnables et équitables de jugement, individuels ou collectifs, en développant les valeurs qui doivent guider les personnes et les communautés, et en développant leur sens des responsabilités. Car c’est sur cette base de repères communs que le débat peut devenir fécond. A nouveau, le relativisme qui domine notre culture, combiné avec le parti-pris prométhéen de nos mêmes sociétés est donc en contradiction frontale avec la recherche de sécurité. Dun côté, on refuse ce qui peut aider à orienter l’action de chacun en fonction de valeurs objectives, et donc on augmente les risques. Mais de l’autre, on n’admet pas que toute action humaine a ses limites, et que le risque zéro n’existe pas. On tolère moins les risques, alors qu’on les multiplie. On retrouve le problème de la dette.

La responsabilité face à la catastrophe possible

Le point ultime de la réflexion sur les risques, c’est la catastrophe. Un auteur est célèbre pour avoir posé cette question : Hans Jonas . Pour lui, dans les époques antérieures les effets à long terme n’importaient pas. Avec le progrès indéfini la question a changé radicalement Et surtout nous savons maintenant que l’humanité peut disparaître. Il faut donc dit-il ajouter un nouveau précepte : agis de façon à ce que tu fais soit compatible avec la permanence d’une vie humaine sur Terre, ou au moins ne lui nuise pas. C’est un vrai précepte moral, mais dit-il, il n’est pas simple à démontrer, car il suppose que ce qui n’existe pas encore a des droits sur ce qui existe. La communauté est là pour préparer l’avenir, mais cet avenir n’est pas représenté en son sein - en dehors de la religion. Ce point paraît indiscutable. Ceci dit, la disparition future possible de l’humanité n’est pas la même chose qu’un mal qui menace chacun personnellement. Il faut donc qu’un impératif éthique pousse à agir : admettre la valeur unique infinie de l’émergence historique de l’homme, l’idée que le progrès technologique, qui ne vise qu’une amélioration relative de l’existant n’a aucun droit à mettre en jeu la survie de l’espèce, ni l’humanité à son suicide collectif. Et comme il y a une incertitude sur ce danger même, ce qui affaiblit sa puissance de conviction, il faut poser dit-il un autre principe : l’on doit prêter plus attention aux prophéties de malheur qu’à celles de salut, car elles nous mettent sous les yeux le risque possible. En résumé, pour exercer notre responsabilité entre un futur incertain, il faut selon lui une heuristique de la crainte, qu’il est urgent de réapprendre et de mettre au centre de la moralité. Jean-Pierre Dupuy s’est posé à sa suite cette question, qu’il résout en posant l’impératif de considérer par hygiène la catastrophe comme quasi-certaine. Car dit-il si on n’a pas l’œil rivé sur la catastrophe, on risque de la considérer improbable, et de ne rien faire avant qu’elle ne se produise.

Notons l’étrangeté de ces démarches. L’idée de prendre conscience de notre responsabilité envers les générations futures est évidemment bonne. Mais d’ici à tout bloquer pour cause d’une risque indéfini de catastrophe, il y a un pas. Sur le plan pratique d’abord, il y a tellement de catastrophes possibles qu’il faudrait choisir celles qu’on retiendra comme acquises d’avance : la disparition de l’humanité par sous-natalité ? Ou un surpeuplement catastrophique, par natalité excessive ? Un désastre naissant de la surconsommation d’énergie ? Ou le sous-développement résultant d’un écologisme malthusien, qui empêche de développer de nouvelles énergies ? Etc. Il nous faut donc aller au-delà et repartir de l’incertitude, qui ne peut être que rester immense. Par ailleurs, quel est le sens d’un impératif de faire être des êtres qui auront un impératif de faire des êtres et ainsi de suite, s’il n’y a pas renvoi à une notion de valeur en soi de ces êtres ? Et comment fonder la valeur en soi d’êtres limités et mortels s’il n’y a pas de valeur en soi, et plus encore une perspective infinie et notamment un Dieu ? Qui le comprend peut par là même échapper au danger que font courir nos auteurs : une obsession de la responsabilité telle qu’elle conduit à éviter tout risque, et bloquer toute évolution future, créant en fait par là plus de risque qu’on n’en évite. C’est l’effet paralysant d’une certaine écologie : appliquée autrefois, elle aurait empêché toute évolution depuis l’âge de pierre. Au contraire il faut accepter la double nature de notre condition : assez limitée pour que nous ne maîtrisions pas les données de nos décisions et notre destinée ; assez ouverte pour que nous acceptions les risques de cette condition. Mais si nous ne contrôlons pas pleinement la société et son destin, et qu’il reste toujours une part importante de risque non régulé, nous devons pourtant avancer avec détermination. Ce qui suppose cette vertu centrale qu’est la confiance, qui n’est pas pensable sans sa cousine la foi. Là encore, des valeurs communes sont essentielles.

Conclusion

Le chrétien connaît en outre la vertu de prudence, l’une des quatre grandes vertus classiques avec la force, la tempérance et la justice. C’est ce que nous appellerions aujourd’hui conduite avisée et raisonnable (pas la précaution méticuleuse que le mot suggère maintenant). Elle implique que, face aux risques, on les évalue au mieux, pour déterminer quel est le meilleur comportement possible à leur égard, sans obérer le futur, et donc sans dette au sens large. Mais sans que cela débouche sur la sécurité absolue. Non que la sécurité ne soit pas bonne. Mais la prendre comme seule règle est en soi risqué, donc coupable. Il ne faut en outre pas oublier les autres vertus, la tempérance (utilisation modérée et équilibrée des choses, bien indiquée en matière écologique), la justice (cela va de soi) et la force, c’est-à-dire le courage. Non pour prendre des risques inutiles, mais pour avancer résolument. Et pour cela la foi est essentielle. Sans foi on s’abrutit dans le présent, ou on se paralyse.

Voir mes livres "L’économie et le christianisme" et "Finance : un regard chrétien".


















































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