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Pour conjurer la déflation en Europe, la planche à billet de la BCE ?


mercredi 24 décembre 2014









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Pour conjurer la menace de déflation en Europe, la planche à billet de la BCE ?

Le thème de la déflation domine de plus en plus la scène européenne. On en parle comme d’une menace sourde et rampante, difficile à contrer. Son influence nous recouvrirait petit à petit comme une mort progressive, une forme de léthargie. Paradoxalement, en face, l’inflation longtemps honnie se pare alors de toutes les vertus, comme un lubrifiant au fond salubre malgré ses bavures et dangers.

On en déduit alors que tous les moyens sont bons pour juguler cette menace : planche à billet, déficits sans contrôles, émission incontrôlées de titres etc. Le salut par une forme de drogue ? Beaucoup sont tentés.

Ce qui conduit à se demander si le problème est bien posé. S’agit-il de doser des dopages, ou de construire un avenir ? Ni la déflation ni l’inflation ne sont des solutions. Le malthusianisme de l’une tue. Mais les paradis artificiels de l’autre aussi. Il est inévitable que nous traversions une période d’ajustement, de remise en ordre après les années d’excès que la crise a mis en évidence. Ce qui importe au-delà c’est de préparer l’avenir collectif, sur des bases saines, avec des repères clairs. Une monnaie fiable est de ceux-là, même si ce n’est qu’un élément parmi bien d’autres.

De quoi parle-t-on ? Le cas étrange du Japon

D’abord sommes-nous en déflation en Europe, en baisse des prix ? Ce n’est pas encore avéré à ce stade mais c’est indéniablement la tendance. La baisse de l’inflation est régulière depuis des années et on passe au moins sur certains mois en territoire négatif. D’où la thèse répandue du glissement de l’Europe, au moins de l’Eurozone, vers une situation à la japonaise. Là-bas les prix baissent tendanciellement depuis 15 ans. Sans faire de la prévision économique, exercice risqué s’il en est, cela montre au moins que la déflation est une possibilité réelle. On parle ici bien sûr d’une déflation structurelle, durable, à distinguer d’une simple correction, effet de la baisse temporaire du prix des matières premières.

La déflation ainsi comprise ne serait pas en soi un fait radicalement nouveau. Dans le passé on a eu de telles périodes de baisse des prix, au XIXe ou avant 1940 ; cela pouvait durer assez longtemps, quoique pas indéfiniment. Ceci dit on n’a aucun précédent de déflation à la japonaise : une tendance à la baisse sur une durée longue, couplée avec une baisse de population. Cet exemple montre le glissement possible vers des anticipations déflationnistes durables : l’attente par tous les acteurs d’une baisse régulière des prix, inversion de l’anticipation inflationniste. De nombreux facteurs ont joué dans le cas japonais : les suites de l’éclatement de l’invraisemblable bulle des actifs de ce pays à la fin des années 80, l’effondrement des prix des produits importés – notamment chinois, le positionnement haut de gamme des exportations qui a assuré une balance commerciale positive presque jusqu’à aujourd’hui, une discipline collective permettant le contrôle des rémunérations, la faible dépendance de l’étranger etc. Avec un arrière-plan essentiel, l’effondrement démographique, qui est fondamentalement un refus de l’avenir. Le tout compose un paysage d’ensemble qui présente des avantages et des inconvénients - s’il n’y avait pas son malthusianisme sous-jacent. Le même exemple montre aussi la grande difficulté à en sortir. Les difficultés de l’Abenomics en témoignent : rompant avec la sagesse classique, cette approche résolument iconoclaste du gouvernement en place, fondée sur le déficit et la planche à billet, n’a au moins pour l’instant pas réussi à faire redémarrer la machine. L’oxygène diffusé à haute dose dans l’atmosphère ne crée pas à soi seul l’euphorie des périodes conquérantes.

On dira qu’il y a de nombreuses différences avec l’Europe : c’est évident si on prend le point de départ, car il n’y a pas eu ici de telles bulles monstrueuses sur la valeur des actifs (boursiers et immobiliers). Mais la ressemblance devient plus suggestive si on considère le Japon depuis 1998. Car ce qui est curieux dans son cas n’est pas la correction de la bulle, qui a occupé la décennie 90, mais l’entrée en déflation qui a suivi. La correction de la bulle n’a été au fond qu’une des causes de la déflation ; la baisse des prix des importations (avec la montée en régime de la Chine) a été au moins aussi importante. L’hypothèse que nous suggère cette expérience est que ces déflations résultent de la combinaison d’un ajustement d’après-crise en contexte malthusien, avec l’effet du nouvel environnement mondialisé. Face à ces phénomènes l’appareil de production est arrivé à se maintenir sur le haut de gamme, mais sans permettre à l’ensemble de la machine de repartir sur sa croissance antérieure.

L’Europe est encore en partie dans la phase de correction après crise, du fait de la nécessité désormais impérative de s’ajuster face aux déséquilibres antérieurs, désormais intenables, notamment l’endettement et les déficits publics. Il est intéressant de noter que la conjonction des facteurs déflationnistes l’emporte chez elle malgré la présence de facteurs inflationnistes subsistants non négligeables : indexations multiples dont les salaires, planche à billet publique, etc. A vrai dire, il y a d’autres différences entre l’Europe et le Japon : ce sont notamment la grande hétérogénéité, sociale, politique, culturelle de l’Europe etc. ; sa monnaie tendanciellement forte ; ses déficits publics financés largement par l’étranger et donc plus menaçants. Tous ces effets sont eux aussi globalement à dominante déflationniste ; s’y ajoute le cadre institutionnel européen et l’influence prépondérante de l’Allemagne, qui y trouve son compte. Plus le contexte démographique négatif, même s’il est moins marqué qu’au Japon. Si en outre on tient compte de la baisse relative des matières premières au sens large, la pression à la baisse sur les prix devient forte, et on la voit dans les chiffres. Même si la hausse des prix de ces matières premières est inévitable à terme long.

Effets économiques et financiers

On ne sait pas bien si cette déflation va durer ; mais l’hypothèse est assez crédible pour qu’on réfléchisse sur ce qu’elle veut dire. La déflation, si elle dure, change bien des habitudes. Comme l’inflation nourrissait une anticipation de hausse des prix, cette fois c’est la baisse qu’on anticipe. Tout ce qu’on dépensera demain sera mieux dépensé, avec un pouvoir d’achat accru, puisque les prix seront plus bas. D’où une tendance au report des consommations et des investissements. Du côté des entreprises, au moins les plus grandes, la difficulté à baisser les salaires nuit alors à la rentabilité et donc au tonus. Mais cela n’empêche apparemment pas un secteur très compétitif de se maintenir à flot – notamment parce que les effets sont reportés sur d’autres. Au total en tout cas l’ambiance est à la rétention.

Quelles en sont les conséquences sur le comportement des investisseurs ? D’abord bien sûr une préférence pour les espèces - sauf si le système financier instaure des prélèvements punitifs sur les liquidités, comme on commence à le voir en Allemagne - mais ce ne peut être que limité. D’où des taux d’intérêts très bas voire quasi nuls…mais avec la déflation, même avec des taux bas on gagne encore de l’argent. Garder des liquidités est même alors une bonne stratégie (si on a confiance dans les banques et dans le papier d’Etat). On comprend alors un peu mieux les très bas niveaux de taux d’intérêts que paye actuellement le papier d’Etat, même français, qui seraient paradoxaux dans le contexte antérieur. Car c’est tout à fait logique si une déflation durable est anticipée, consciemment ou non.

Une prise de risque n’a alors de sens que si les rendements sont vraiment élevés. Ce n’est pas désastreux pour les actions - mais pas euphorisant non plus car rares sont alors les secteurs vraiment convaincants. Au Japon la Bourse est médiocre depuis longtemps, bien après la bulle. En revanche comme on le voit au Japon encore l’immobilier voit alors son rôle historique bouleversé, hors emplacements exceptionnels, car il cesse d’être une garantie de maintien de la valeur ; les vulgaires espèces sont, sur ce plan, plus performantes. Il n’est pas jusqu’à la fiscalité pour être perturbée, dans un contexte où les plus-values réelles, provenant désormais de la déflation, ne sont plus exprimées en monnaie, et donc non taxées. Le système public ne s’en trouve alors pas bien non plus.

Nous nous trouvons donc devant un régime profondément nouveau par rapport à nos habitudes. Peu excitant, poussant sans cesse à la restriction, il a bien des côtés négatifs. Mais en même temps la baisse des prix a ses charmes, notamment pour les consommateurs ; les nôtres y ont pris goût depuis longtemps, remercions la Chine…

Alternatives

Mais la perspective de sortie n’est pas non plus réjouissante. Prenons l’hypothèse d’une remontée des taux d’intérêt, et son effet sur les marchés. Elle peut provenir notamment de la contagion américaine, pays dont la logique est très différente de la nôtre. Si c’est sans reprise de l’inflation, elle serait très coûteuse, notamment pour le système public. A cela s’ajouterait le problème de la liquidité du marché obligataire, massivement réduite par les réglementations nouvelles, alors même que le marché lui ne cessait de croitre. D’où un risque de secousses violentes induites. Car sur ce plan nous sommes en Europe très dépendants du marché mondial, ce que le Japon a ignoré jusqu’ici. L’alternative à la déflation peut donc être assez rugueuse. A nouveau on incriminera les marchés. Mais en réalité ce ne sont pas des facteurs explicatifs par eux-mêmes, ce sont des thermomètres imparfaits ; sachant que quand ils révèlent nos limites et nos impasses, c’est souvent violent.

Dira-ton alors que l’inflation n’était pas si mauvaise qu’on le disait, et qu’il faut donc la favoriser par tous les moyens ? Mais faut-il vraiment que les prix bougent sans cesse ? La monnaie est un étalon, à la fois du calcul économique et de la conservation de la valeur. Il n’est pas bon qu’un étalon soit en permanence fondant et peu fiable, d’autant que l’inflation échappe vite au contrôle. Quand on voit maintenant les banques centrales, temples supposés de la vertu, se donner une inflation de 2 % comme objectif minimal, on reste rêveur.

A l’évidence la solution n’est ni dans la déflation ni dans l’inflation : elle est ailleurs. Il n’est d’ailleurs en rien démontré que par elle-même l’inflation résolve la question de la stagnation. En termes de croissance, le bilan passé des périodes d’inflation est très médiocre. Les facteurs euphorisants qu’on constate aujourd’hui aux Etats-Unis, malgré leurs limites, vont bien au-delà de la politique monétaire de la Fed : ils sont dus d’abord à la capacité de réaction de l’économie américaine réelle malgré ses défauts, qu’il s’agisse de la démographie, de la création d’entreprise ou de l’innovation, sans parler du gaz de schiste. On a connu cela en Europe autrefois, dans les années 50 ou 60, avec la reconstruction et le rattrapage. Mais ces facteurs ne sont plus présents dans nos pays, ou plutôt ne sont plus au centre de la vie collective.

En fait la leçon finale est que la vitalité est une autre question que la manipulation des outils économiques. Elle ne s’achète pas par de la drogue. la création de monnaie, le Quantitative Easing peut aider parfois, si le moment choisi est bon, il ne résout rien au fond. Il s’agit bien plus fondamentalement de démographie, d’innovation, et de création. Et même plus largement du positionnement dans l’histoire, de la volonté collective. Les pays d’Europe sont obsédés par des utopies stériles, l’une des plus trompeuses étant l’illusion de l’accumulation maniaque d’acquis supposés irréversibles, qu’ils soient sociaux ou européistes. Et la négligence des facteurs de vitalité, de la création au sens large, qu’il s’agisse de la démographie ou de l’innovation. Ils ne donnent donc pas la bonne réponse – pas plus que le Japon. Le sevrage des errances d’avant 2008 est une chose. Le redémarrage une autre, qu’on n’achètera pas par des drogues artificielles.
















































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