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Déchristianisation et économie


dimanche 28 octobre 2012









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Déchristianisation et économie

Les conséquences de la déchristianisation pour la société et l’économie européennes

Cadre général

Nous avons connu historiquement un changement majeur dans les années 60, particulièrement important du point de vue de la religion. On sait que la pratique religieuse s’est effondrée à ce moment, concomitamment avec une évolution très profonde des mœurs. D’un point de vue spirituel c’est un fait majeur – mais ce n’est pas notre sujet ici. Les conséquences en matière économie, politique et sociale en sont également très importantes. En matière politique par exemple, le rôle de la Démocratie chrétienne pouvait paraître dans les années 50 une réussite brillante, un point haut des rapports de l’Eglise avec le monde : des partis explicitement chrétiens jouaient un rôle majeur et reconnu dans des démocraties, le régime politique de la modernité. Or comme on sait l’évolution est allée vers leur relativisation, ou même disparition, en tout cas sécularisation.

Mais l’exemple le plus évident du divorce nouveau est celui des mœurs sexuelles, de la reproduction et du mariage. Il est manifeste que cela va dans le sens contraire de l’enseignement chrétien : avortement, contraception, liberté totale des mœurs sont évidemment incompatibles avec la conception chrétienne de la bonne conduite, et cela d’une façon qui n’est pas seulement valable pour le chrétien, mais pour l’homme en général, vue sous l’angle de la loi naturelle. Cette notion de morale naturelle qui aurait paru évidente naguère n’est dans la pratique maintenant défendue activement que par les chrétiens, avec l’appui d’autres religions, en dehors d’individualités dispersées sur tout le champ de la pensée. On le voit avec le débat sur le mariage homosexuel aujourd’hui en France : d’un côté les arguments échangés sont de l’ordre de la morale naturelle, et c’est normal ; mais d’un autre côté ce sont les croyants qui animent pour l’essentiel le débat. Pourtant la question devrait toucher tout le monde : un être normalement constitué devrait trembler à l’idée de voir les mots père et mère disparaître du vocabulaire légal.

Pendant la même période, ces évolutions se sont accompagnées de bouleversements dans le monde politique et économique. En économie par exemple on a connu de considérables évolutions : on est passé de l’Etat keynésien et régulé, autarcique, des années 50 et 60 à l’ouverture mondialisée, à une compétition planétaire dans laquelle les pays émergents jouent un rôle désormais décisif. On souligne souvent le seul rôle de l’idéologie libérale et de la financiarisation. Ce rôle est réel certes. Mais le fait de base est la mondialisation. Du fait de celle-ci les contraintes et possibilités des décideurs se sont radicalement modifiées, comme l’horizon de vie des personnes.

Sur le plan social il en est de même. Mais ici on constate un paradoxe. Le maximum des ambitions intégratrices de cette nouvelle construction qu’était alors la sécurité sociale se situe dans l’immédiat après-guerre : système Beveridge au Royaume-Uni ou Sécurité sociale française par exemple. Mais dans les faits ces systèmes n’ont pris une grande ampleur qu’après, du fait notamment de la hausse spectaculaire des dépenses. Plus qu’un renouvellement d’ambition, cela résulte d’une incapacité à contrôler les dépenses, d’où une plus grande difficulté à les financer, alors qu’en même temps une part croissante de la population était laissée de côté par l’économie, attendant d’autant plus de l’Etat providence. Il en résulte une inefficacité criante de ces systèmes, y compris et surtout en termes de solidarité réelle. Il en est de même au niveau des budgets publics, qui se sont gonflés en finançant toujours plus de dépenses courantes à crédit. Le tout s’est traduit comme on sait par un dérèglement grave, devenu manifeste en fin de période, avec la crise de l’endettement des Etats, et une incertitude générale.

Un dernier facteur de nouveauté est à citer enfin, c’est évidemment la prise de conscience écologique. Elle crée un doute profond et bouleversant envers la science et le progrès. Et en même temps elle nous demande un nouveau paradigme, où la finitude joue un rôle plus important.

Il y a donc une rencontre, en partie fortuite, entre l’éloignement rapide des sociétés européennes à l’égard des références chrétiennes encore prégnantes auparavant dans la culture collective, et le bouleversement du cadre de cette vie collective. Le monde d’aujourd’hui fait face à des défis nouveaux mais avec un cadre de pensée radicalement différent, dans lequel la déchristianisation est un évènement majeur. Que peut faire le christianisme ? Est-il indispensable sur cette sciène nouvelle ? Ma réponse est positive.

Quelle problématique pour le christianisme ?

En quoi la déchristianisation affecte-t-elle, ou affectera-t-elle dans le futur, notre capacité à traiter les défis auxquels nous faisons face ? Prenons tour à tour les différentes têtes de chapitre.

Les mœurs

Les évolutions en cours ou intervenues changent tout simplement la manière dont les être humains sont faits et élevés. Elles ont donc une signification anthropologique majeure. Nous savons certes que l’être humain est plastique ; mais le risque qui a été pris par nos sociétés depuis un peu plus de quarante ans est très élevé. Il n’y a en effet rien de plus structurant que la famille, ne serait-ce que pour l’éducation des enfants, et donc le façonnage de l’humanité de demain. Or la famille a éclaté de toute part, et même si les liens affectifs peuvent subsister, le fait de base est l’éclatement des liens quotidiens entre parents ou entre parents et enfants. Parallèlement l’idéologie ambiante débouche sur des pratiques éducatives inefficaces, parce que sans exigences. Outre sa signification propre, cette évolution ne peut pas ne pas avoir des conséquences économiques importantes. Pour n’en citer que deux, l’une est quantitative : la sous-natalité (avec son impact par nature massif sur les retraites ou sur la croissance), l’autre qualitative, la sous-éducation ou la mauvaise éducation, qui conduit à ‘produire’ les hommes de demain de façon de plus en plus inadaptée.

Des mœurs saines supposent des valeurs collectives. Le christianisme les donnait, mais même là où la pratique religieuse subsiste, son influence sur les comportements réels diminue. La sous-natalité n’a par exemple plus de corrélation avec la pratique religieuse. Mais qui d’autre que lui peut donner de telles références au niveau requis par nos besoins ?

Economie

Déjà les faits précédents impactent l’économie de façon considérable. Mais plus largement, le fait de base est que l’économie est faite d’hommes. Et donc ce qui les fait vivre, ce qui donne du sens à leur vie et à leur action est essentiel pour l’économie aussi. En termes concrets, on ne peut espérer avoir durablement une vie économique saine sans valeurs collectives et anthropologie saine. Cela vaut notamment à un triple niveau (que j’ai élaboré dans mon livre sur l’Economie et le Christianisme).

Il y a en premier lieu les systèmes de valeurs personnels, la morale. C’est évident à un niveau élémentaire : le respect des contrats, les règles de base de la vie en commun, sans lesquelles l’action commune est difficile et aléatoire, donc coûteuse. Mais c’est vrai en outre, de façon moins souvent rappelée (mais ce l’est par Benoît XVI dans Caritas in veritate), au niveau des marchés. Les marchés financiers notamment reflètent les priorités des acteurs ; selon ces priorités (et au moins tout simplement, les instructions de gestion données par les bénéficiaires des fonds de pension à ceux qui les gèrent), leur résultat sera différent. Et donc la marche de la société sera différente. Si la perspective est celle du gain maximal à court terme, c’est comme cela que l’économie vivra.

En second lieu l’économie suppose des entreprises, donc des entrepreneurs, et qu’ils animent des communautés qu’on appelle les entreprises. Et donc une capacité à prendre des risques, car la sécurité totale n’existe pas. Donc une forme de courage et disons-le de foi. Les enquêtes comme l’examen historique montrent une corrélation entre la foi en l’avenir et la foi religieuse, du moins chrétienne. Une société qui ne vise que la maximalisation du profit immédiat ne prend pas de risques sur la durée.

En troisième lieu le fait est qu’une économie qui opèrerait sur la base du seul égoïsme ne fonctionnerait pas, contrairement à ce qu’on peut comprendre en lisant nos manuels d’économie politique. C’est déjà vrai pour travailler ensemble dans une entreprise : si je n’y coopère avec mon voisin que sur la base d’un profit immédiat, plus rien ne fonctionne. C’est à fortiori vrai pour vivre ensemble en société en utilisant pleinement les ressources de tous ; enfin et plus encore pour assurer les fonctions qui ne peuvent être assurées sur une base égoïste, à commencer par la famille. Ce qui suppose des valeurs d’amour et de don et tout au moins de solidarité.

J’en déduis qu’une économie n’est pas tenable à terme sans foi religieuse, ou son équivalent s’il peut exister ; mais je doute qu’on puisse se passer en Europe de la foi chrétienne qui a donné les cadres conceptuels et valeurs de référence qui ont permis le décollage économique de l’Occident à partir du Moyen Âge (voir mon livre Christianisme et croissance économique).

Social

Nos systèmes sociaux sont en crise, on l’a dit. Il y a trop de dépenses et de gaspillage, et trop de dette. Et en même temps une insuffisance de solidarité, et une trop faible efficacité. Il n’y a donc pas ou plus d’image cible, régulatrice du bon niveau et des bons moyens de cette solidarité. La demande toujours croissante de transferts et d’action collective se heurte à la mondialisation qui d’un côté diminue les ressources et de l’autre distend la solidarité.

En outre voire surtout les prestations financières ne suffisent pas ; elles ne font pas le tissu social. Il y faut aussi et surtout la présence directe de personnes, ce qui ne peut se faire que dans un cadre associatif, mû par un esprit qui de près ou de loin relève de la charité. En d’autres termes, quel que soit le niveau des prestations égales, il faut à la société un double don : don financier et don des personnes, par leur temps et leur présence. Là encore, même dans une société relativiste on peut évidemment voir des personnes ou des associations à même de contribuer à ces efforts collectifs. Mais c’est de façon sporadique et aléatoire, et pas au niveau d’ensemble. La conception chrétienne elle favorise deux facteurs en même temps : l’autonomie de la personne (et donc sa responsabilité), et la solidarité, notamment envers les pauvres. Elle paraît donc fournir à la foi les orientations et les motivations permettant de réduire l’ampleur des transferts, de les réorienter, et de faire appel à la solidarité privée et associative. On voit mal ce qui pourra la remplacer dans ces rôles, surtout dans les secousses de la crise actuelle.

Ecologie

Citons enfin l’écologie, qui nous pose des problèmes multiples, qui nous conduisent au fond à la question de la place de l’homme dans la nature ; ce qui interpelle directement le chrétien. En bref, l’écologie est un exemple remarquable du besoin d’une anthropologie donnant sa place à l’homme, un sens à sa présence. Quoi que dise l’écologie extrémiste, seul l’homme peut prendre en charge la nature. Mais quoi que dise le système économique dominant, il ne le fait pas sans exigence morale profonde, basée sur une claire conscience de sa position de responsabilité dans la nature. Mais je ne vois pas dans quel autre cadre que le christianisme on peut définir une position de l’homme qui soit respectueuse à la fois de sa place unique, et de ses devoirs envers son environnement.

Comme on voit donc, sur une multitude de points, questions, et occasions, le rôle du christianisme en Europe paraît irremplaçable. Les alternatives sont insuffisantes, chaotiques et incohérentes.

Le rôle du christianisme

Il y a en définitive un contraste impressionnant entre ce qu’on peut légitimement attendre du christianisme en Europe, et sa marginalisation actuelle, pratiquement unique parmi les 5 continents. Que faire alors ? Rappelons alors qu’il y a deux familles de moyens permettant d’agir sur la société : le niveau de l’action collective, notamment politique, et l’action directe, au moins par l’exemple. Il y a donc un double besoin.

Le premier est d’élaboration intellectuelle. Sauf conversion large, actuellement improbable, on ne peut parler à l’ensemble de la société qu’au niveau de la loi naturelle – même si elle aussi est largement contestée, c’est-à-dire par une argumentation ou une action rationnelle. Mais là aussi c’est le christianisme qui est le mieux placé pour l’élaborer et en témoigner - d’où la valeur essentielle de l’exemple, notamment aux niveaux économique, politique et social. Les leçons de l’histoire nous confirment son rôle irremplaçable et décisif, tant en économie qu’en politique. Ceci vise notamment le rôle des laïcs croyants Mon jugement est que sur ce plan-là ils ne font pas assez leur travail. On ne peut pas attendre (en contexte catholique) tout de l’enseignement pontifical ou du clergé, ne serait-ce que parce que la responsabilité première du monde politique et économique, c’est les laïcs qui l’ont. Qu’ils y travaillent donc.

Le deuxième niveau est l’action concrète. Elle touche bien sûr une multitude de domaines, à commencer par la charité et le don. Il faut donner, beaucoup plus que nous ne le faisons, et collectivement, dans des organismes puissants, influant sur la société. Mais au moins à titre d’exemple je voudrais citer un autre domaine, moins familier, l’économie, et en son sein un plus surprenant encore, les marchés financiers. Je veux parler ici de l’investissement socialement responsable ou ISR. Dans nos économies de marché, les entreprises sont détenues par des propriétaires qu’on appelle les actionnaires ; ce sont eux qui orientent son action, au moins en dernière analyse. Les priorités de ces actionnaires sont donc décisives pour l’orientation de notre vie collective. Or ce sont ceux qui détiennent ces instruments traités sur un marché financier que sont les actions. Nous avons dès lors le devoir d’investir dans des entreprises et d’acheter des actions ; et nous avons plus encore le devoir de les sélectionner et de les orienter. Tel est le rôle de l’ISR. Mais l’ISR actuellement dominant reste trop modéré et étriqué dans ses ambitions, comme d’ailleurs tout ce qu’on appelle éthique, et très en deçà des ambitions de chrétiens responsables et engagés. Parmi bien d’autres initiatives possibles et même nécessaires, j’en appelle donc à un ISR ambitieux d’inspiration chrétienne. .

(D’après mon intervention à l’Université de Luxembourg le 25 octobre 2012)



1 Message

  • Sans titre

    29 octobre 2012 11:03, par Hubert Fondecave
    Pierre, Je vous remercie pour votre prise de position claire et précise.













































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