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L’Economie et le Christianisme


jeudi 4 mars 2010









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Dans Christianisme et croissance économique, nous avions mis en évidence le rôle clef du christianisme dans la croissance économique de l’Occident, dans son décollage historique unique parmi les civilisations. Nous demandions alors : qu’en sera-t-il à l’avenir, dans nos sociétés imprégnées de christianisme certes mais déchristianisées ? L’Economie et le Christianisme constitue une première réponse. Avec des extraits du livre

Chez François-Xavier de Guibert, Groupe DDB Parole et Silence

L’Economie et le Christianisme : introduction du livre

« Nous partons de l’idée qu’aucune activité humaine ne peut prospérer sur la longue durée sans valeurs morales, et sans confiance dans l’avenir. Et l’économie pas plus que les autres. Où peut-elle les trouver ? Pas dans le credo économique dominant, car il prétend être neutre envers toutes les préférences. Loin de reconnaître le rôle des valeurs humaines, il justifie selon les cas l’appât du gain ou la satisfaction des désirs. C’est donc au-delà qu’il faut chercher. Ce qu’il faut au premier chef, c’est une culture collective positive, qui valorise la loyauté, l’honnêteté, le sens de la responsabilité et du bien commun. Mais cela même ne suffit pas. Car l’histoire humaine est pleine d’aléas ; tantôt elle nous demande de nous surpasser, tantôt elle nous expose à la peur et au désespoir. Pour aller au-delà, il faut une foi. Sur la longue durée une morale et une foi sont donc vitales, même pour la vie économique.

A notre époque, c’est là une idée bizarre : on croit les deux réalités aux antipodes l’une de l’autre. Pour les uns, l’économie est le temple du profit, où les valeurs morales et spirituelles sont le moins considérées : un monde matérialiste et égoïste, sans tabou ni idéal. Et pour les autres, la foi est une évasion, un refuge dans l’au-delà ; des bons sentiments, au mieux utiles, au pire fanatiques - voire des inhibitions pesantes. Mais l’économie c’est d’abord des hommes, pour qui elle représente une grande partie de leur vie. Or que sont les hommes s’ils ne croient en rien ? Sans foi, peuvent-ils se mobiliser pour des valeurs essentielles, entreprendre, persévérer, ne pas être submergés par la facilité et l’opulence, traverser les échecs et les désastres, croire en l’avenir malgré les crises et les terreurs ? Quelle martingale économique nous garantit contre ces aléas ? Et quelle croyance peut égaler la force et la signification d’une foi ?

Or il se trouve qu’une foi se distingue parmi toutes pour son affinité particulière avec la vie économique : c’est la foi chrétienne. Le fait est largement méconnu. Mais nous l’avons montré ailleurs : sans elle il n’y aurait pas eu décollage économique de l’Occident ; et c’est ce qui l’a distingué radicalement des autres civilisations. Dès lors, comme concluait cet ouvrage, on peut se demander si une économie née des vertus chrétiennes, des dons du christianisme, peut survivre à long terme sans lui. Que peut-il arriver à nos sociétés déchristianisées, surtout en Europe ? La question est vaste, et touche potentiellement à une multitude de thèmes : de la morale des affaires à la confiance mutuelle, de l’esprit d’entreprise au culte de l’argent, de la perte de repères au risque de catastrophe, de la natalité aux revendications sociales, de la solidarité nationale au vertige du mondialisme, du progrès technique au développement durable etc. Malgré leur importance, nous ne pouvons pas entrer ici dans ces dimensions multiples. Même la question de la solidarité et de la lutte contre la pauvreté, ou celle de l’avenir de la planète, essentielles pour le chrétien, dépassent ce livre par leur ampleur. Nous nous concentrerons donc sur le cœur de la question posée : en quoi des croyances et des valeurs sont-elles essentielles à la vie économique comme telle ? Quelles inquiétudes ou fragilités taraudent ou menacent à terme l’économie moderne ? Quelles sont les réponses de l’Eglise et des chrétiens ?

Une société peut vivre sans la foi chrétienne : l’histoire le montre abondamment. Les sociétés anciennes avaient d’autres croyances ; certaines sociétés actuelles de même. Mais une société postchrétienne comme la nôtre est autre chose : ce n’est pas une société païenne, c’est une société née du christianisme mais qui essaye de vivre sans lui en se fabriquant des valeurs sans transcendance ; elle n’a pas de prédécesseur et nous ne savons pas ce qu’elle peut devenir. Notre conviction est que si elle ne dispose pas des croyances et valeurs qui lui permettent de vivre durablement, elle se trouvera dans la plus mauvaise des situations, au-dessous d’une société païenne. Notamment face aux défis et risques nouveaux qui la bouleverseront. Et son avenir ne sera plus assuré. Le christianisme est-il alors un élément de réponse, voire l’élément central ? C’est là à nouveau une idée étrange pour beaucoup de gens, pour qui le message chrétien n’est pas principalement tourné vers ce monde, et, croit-on, pas sur l’activité matérielle. On ne s’attend pas à ce qu’il joue un rôle significatif dans l’activité la plus matérielle de toutes, voire la plus matérialiste. Surtout à notre époque où son rôle public s’est effondré (du moins en Europe). Mais justement là est une des clefs de notre enquête. Le christianisme est à la fois matériel et spirituel, terrestre et surnaturel, incarné et transcendant, enraciné dans le temps et tourné vers l’éternité, exaltant la personne comme la communauté, prospérant dans l’adversité et la marginalité. Or l’économie est l’art de l’action sur la matière et dans le temps, œuvre d’entreprise solitaire et collective, fruit de la persévérance et de la conviction. Quoi alors d’autre qu’une foi, et dirons-nous la foi chrétienne, peut donner durablement à ses acteurs le recul et la force qui leur permettent de dépasser les limites de leur art, et ses tentations ?

Comment est-ce possible ? Pour le chrétien, le sens de sa foi se situe dans un renouvellement, une réorientation de son regard et de son comportement (c’est ce qu’on appelle conversion). Et loin de se limiter à la conduite privée et à la vie spirituelle, ceci s’élargit dans un regard d’ensemble sur la vie collective et donc sur l’économie, un regard fondamentalement actif et entreprenant, tourné vers la transformation. Comme le note Benoît XVI , le Christ lui-même en a donné l’exemple, dans son interprétation raisonnée de la loi juive. Il a accompli la dynamisation des régimes juridiques et sociaux de la Torah « en assignant à la raison qui agit dans l’histoire son domaine propre de responsabilité. Ainsi la chrétienté sera tenue d’innover en matière d’ordre social ». L’une des forces du christianisme, et une de ses contributions au développement de la société occidentale, c’est justement de ne pas donner de modèle rigide de société, au-delà de principes de base comme l’autonomie et la responsabilité de la personne et les règles qui en découlent. Il n’y a pas de société idéale réalisable sur Terre, pas de solution toute faite. Mais en même temps cette foi maintient une exigence concrète, y compris en l’absence de résultat immédiat. Même du point de vue de ce monde, son rôle est donc considérable - en fait irremplaçable, et l’histoire le confirme. Qu’est-ce que cela signifie en pratique ? Nous avons proposé dans un autre ouvrage un aperçu du rôle du chrétien dans l’économie, au niveau de l’entreprise, de l’Etat, de la conduite personnelle, ainsi que dans une perspective spirituelle. Nous allons voir dans les chapitres qui suivent quelles réponses le christianisme peut apporter, au moins à terme, face aux préoccupations que suscite l’économie moderne, en termes de valeurs, de responsabilités et de prise de risque. Remettant à sa place l’économie comme subordonnée et incomplète, une perspective chrétienne réordonne la hiérarchie des valeurs et priorités, avec une double traduction. L’une est spirituelle ou au moins morale : elle fait éclater la perspective étriquée et mortifère du relativisme ambiant et remet la question des valeurs et de la morale au centre de la vie collective et de l’économie, même comprise au sens le plus étroit. Ce qui met en jeu l’autonomie des personnes : ces valeurs, il leur incombe en effet de les assumer, par elles-mêmes ou par leurs sociétés à commencer par l’entreprise et la famille, en prenant leurs responsabilités pour les risques qu’elles assument directement ou collectivement. Mais au-delà cela implique la mise en évidence du fait que tout un ensemble de réalités, indispensables au bon développement d’une société, déborde et enveloppe de toute part l’économie au sens restreint du terme : cela vaut bien entendu pour le souci des exclus ou celui de l’avenir de la planète, que l’économie ne sait pas prendre en compte ; mais aussi du fait qu’à la base de toute vie collective et donc de l’économie se trouve une réalité essentielle qui n’est pas de l’ordre de l’économie : le don gratuit, qu’on trouve déjà dans la famille.

A ce stade un tel enseignement, même s’il est chrétien d’origine, est à même de parler à tout homme de bonne volonté. Mais on doit aller plus loin. Car il ne suffit pas d’être autonome, responsable et animé de justes valeurs, et de savoir regarder au-delà des horizons de l’économie au sens courant du terme : il faut aussi faire face au fait que nous ne savons pas tout, que l’histoire est imprévisible, et que tantôt il est attendu de nous bien plus que ce que nous envisagerions naturellement, et que tantôt au contraire l’erreur ou le mal nous menacent malgré nos efforts. Il nous faut pourtant entreprendre et avancer. Comme on l’a dit, seule une foi nous situe efficacement et nous donne l’horizon d’espérance dont nous avons besoin. Ou plus exactement seule la foi chrétienne ; car elle seule nous permet d’aborder l’incertitude où nous nous trouvons en ce monde (notamment aujourd’hui), avec la double perspective nécessaire. D’un côté, de confiance en Dieu, débouchant non sur la passivité mais sur un comportement actif et entreprenant. Et de l’autre, d’acceptation lucide de cette absence de certitude : donc de foi et d’humilité. Elle seule permet de comprendre les conséquences mauvaises de nos actions, les effets dangereux naissant du succès, de l’enrichissement et de la puissance qui montent à la tête ; en d’autres termes, les effets nocifs de l’utilisation instrumentalisée des dons de Dieu, que l’homme s’approprie pour suivre une autre voie, croyant les maîtriser mais se faisant dominer par eux, comme notre époque le montre.

Dans notre examen, nous passerons en revue les réponses que des penseurs et économistes chrétiens proposent aujourd’hui aux questions que nous pose l’économie. Nous avons pris le parti de présenter sans fard la diversité souvent dissonante de ces points de vue. Autour d’une foi et par là de valeurs communes, l’idée qu’ils se font de l’articulation entre ces valeurs et la société actuelle varie considérablement, de l’hostilité franche au compagnonnage ou à la fuite dans l’utopie ; de l’exaltation de l’esprit d’entreprise à la social-démocratie, en passant par le repli sur de petites communautés. Mais le tronc commun est là, vivant et fécond ; la Doctrine sociale de l’Eglise catholique en donne le cœur ; c’est d’ailleurs par elle que nous commencerons, car c’est le meilleur guide pour l’élagage des tentations bien intentionnées mais aberrantes, qu’il faudra opérer ensuite. Rappelons en outre que nous sommes dans une phase de transition : violemment secoué au siècle précédent, apparemment pulvérisé, le christianisme est en plein processus de reconstruction ; notre recherche en porte la marque.

Nous aborderons ces idées en deux étapes. Dans la première partie nous examinerons le rôle des valeurs dans la vie économique, face au relativisme ; puis les acteurs et leur responsabilité. Dans la deuxième partie, nous évoquerons les limites de l’économie : les risques inévitables qu’elle entraîne et la difficulté à les surmonter dans son cadre ; puis ce qui touche à la vie matérielle mais déborde l’économie pure, et notamment le don et la solidarité. Nous irons ensuite franchement au-delà pour conclure sur l’apport essentiel que représente, pour une activité économique qui tend à s’engluer dans ses suffisances, un regard venu d’ailleurs qui la dépasse infiniment, celui de la foi, par là propre à lui insuffler, même dans sa sphère matérielle, les vertus d’espérance et de charité sans lesquelles il n’est pas de vie. »

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